Alain Garde -nom d’emprunt par souci d’anonymat-, Directeur général d’une entreprise basée à Douala, a été enlevé par des inconnus armés à Bamenda en juin alors qu’il revenait d’une cérémonie. Le fait que la prise d’otage se passe dans le centre-ville de Bamenda, avec le silence « inquiétant » de l’Etat, relance le débat sur la sécurité des citoyens.
« Nous étions abandonné dans une vieille maison en terre battue en pleine forêt, contraint de dormir sur un sol poussiéreux, le téléphone confisqué. Pas de nourriture, pas d’eau ». Alain Gardeest encore hanté par la triste histoire vécue dans une forêt de Bamenda dans la région du Nord-Ouest, après avoir été enlevé en pleine ville. Il a passé 10 jours de captivité.
Au début du mois de Juin, Alain Garde, chef d’entreprise avec une solide réputation dans les milieux diplomatiques, décide d’aller à Bamenda assister un ami, qui organisait une grande fête. Il part de Douala pour Bamenda en amenant avec lui son épouse et ses enfants.
A la fin des festivités qui se déroulent dans un quartier résidentiel, il est sur le chemin du retour aux environs de 20h, lorsqu’une voiture de couleur noire lui barre le passage. Des hommes lourdement armés sortent du véhicule, ouvrent sa portière en pointant leurs armes sur lui. Yeux sont bandés, mains ligotées, il est conduit dans le véhicule des ravisseurs qui démarre en trombe et se fond dans la nature. Sa femme et ses enfants n’ont pas été enlevés. « Je me suis retrouvé dans une vieille case au milieu d’une forêt. Il y avait d’autres personnes prises aussi en otages », se souvient-il.
Gardé dans des Conditions inhumaines
« Les ravisseurs se sont saisi de mon téléphone, ont consulté les photos dans ma galerie. Ils ont constaté que j’étais un agriculteur, puisque j’ai toujours quelques images que je conserve. Ce sont eux qui recevaient mes coups de fils, et géraient ma messagerie » explique le Directeur.
« J’ai alors pensé que je pouvais mourir à tout moment. Puisqu’il fallait un simple mouvement de gâchette pour que tout s’arrête. J’ai vu toute ma vie défiler sous mes yeux. Le choc que cela a créé chez ma femme et mes enfants… », le choc est toujours dur à surmonter. « Nous étions dans une vieille case non bitumée. On était obligé de s’asseoir au sol. Il y avait un récipient, un seau dans lequel il fallait faire ses besoins et aller déverser dehors. Les ravisseurs nous ont dit qu’ils ne sont pas pressés. Qu’ils peuvent rester avec nous même un an, tant qu’on ne paye pas la rançon demandée ».
Les nuits étaient longues et interminables. Chacun devait bousculer pour se faire une place. Pas de couverture pour se recouvrir, pas de matelas, les soirées étaient atroces, avec un froid glacial qui pénétrait la pièce en passant par les ouvertures de la porte et des murs pendant la nuit. « C’est à ce moment que l’on comprend mieux l’importance de certaines petites choses de la vie. Tout ce que vous avez comme bien matériel, tout ça n’a plus d’importance ».
Le traumatisme infligé à l’homme d’affaires rend son discours parfois incohérent. Il se répète, souvent se contredit. Dans ce tâtonnement, il évite à chaque fois de parler des ravisseurs. Qui étaient-ils ? Il repousse toute réponse à cette question, surtout concernant leurs descriptions. Pour lui, le fait d’avoir été relâché, d’avoir retrouvé la vie est la chose la plus merveilleuse qui lui soit arrivée. « Je ne parlerai pas de ce qui s’est passé concernant la rançon. Je préfère ne pas en parler » insiste Alain Garde. Même avec ses proches, il s’est abstenu d’en parler.
Il a cependant une grande colère contre les agents de sécurité, contre l’Etat. Ceux qui sont là pour assurer la sécurité des citoyens. Est-on dans un Etat de droit ? se demande-t-il ? Puisque l’on peut perdre aussi facilement la vie.
Les enlèvements se multiplient
Les défenseurs de droits de l’homme qui travaillent à Bamenda dénoncent la croissance des cas d’enlèvements ces deux dernières années. Gaby Ambo, président de l’ong OFGI (organisation Finders Group Initiative) , affirme que de plus en plus, des hommes armés qui peuvent être des séparatistes procèdent aux enlèvements dans les quartiers de Bamenda pour montrer qu’ils maîtrisent le terrain et passer un message de défiance à l’Etat.
« Les séparatistes ont de plus en plus des armes automatiques. Ils s’attaquent aux postes de polices. Ils enlèvent même les éléments de police et de gendarmerie qu’ils gardent en otages. Le phénomène devient de plus en plus récurrent. Ils ne le font plus seulement pour demander des rançons. Et les habitants ont le sentiment de ne plus être en sécurité » déplore Gaby.
Il explique par ailleurs que les défenseurs de droits humains comme lui ont à plusieurs reprises alerté les autorités, les préfets, les sous-préfets, le gouverneur, qui représentent l’Etat sur cette montée d’insécurité. Ces derniers ont dit qu’ils prendront des mesures. Mais malheureusement sur le terrain ces mesures semblent ne pas fonctionner.
Les kidnappeurs sont connus
Queston Anderson Rongueh est le préfet de Ngoketunjia, l’un des départements du Nord-Ouest les plus dangereux où s’opèrent de nombreux enlèvements. C’est à Ndop, chef-lieu de ce département qu’avait été enlevé le cardinal Christian Tumi. Pour le préfet, les kidnappeurs sont des gens du village qu’on connaît très bien. Le plus gros problème, est selon lui, le manque de collaboration des populations.
« Le niveau de renseignement n’est pas satisfaisant. Tu as un ennemi que tu ne vois pas, tu ne connais pas. Pourtant eux ils vérifient tous les mouvements des forces de maintien de l’ordre. Si la population donne des informations, on va éradiquer ça. Mais malheureusement les gens ne veulent pas dénoncer leur fils ou leurs frères» regrette le préfet.
« Autre chose, c’est un business nouveau. Les kidnappeurs choisissent toujours ceux qui ont de l’argent pour les enlever. C’est la mode maintenant. C’est le seul moyen pour eux d’avoir de l’argent pour survivre. Ici à Bamenda ça ne surprend plus personne, même si malheureusement, souvent ça coute la vie à de nombreuses personnes » indique Queston Anderson Rongueh.
Favoriser les escortes militaires
Le Lieutenant Roula -nom d’emprunt par souci d’anonymat-, commandant d’un détachement du Bataillon d’intervention rapide (Bir) à Bamenda, ayant affronté à plusieurs reprises les séparatistes anglophones dans les arrondissements de Ndop, Babessi et Balikumbat, affirme que le chef d’entreprise enlevé à Bamenda devait solliciter l’escorte de l’armée pour assurer sa sécurité lorsqu’il est arrivé dans le Nord-Ouest. « Maintenant c’est ainsi que ça se passe. A Bamenda on a des millions d’habitants. Or les militaires ne sont pas nombreux. Nous ne sommes pas Dieu pour savoir que tel habitant est kidnappeur ou séparatiste pour pouvoir anticiper les actes d’enlèvements. L’homme d’affaires enlevé devait demander une escorte pour sa sécurité pendant tout son séjour. C’est la seule méthode de sécurité qui fonctionne en ce moment. »
« Et le préfet qui dit qu’on connaît ceux qui constituent les groupes armés, il faut faire attention aux déclarations politiques. Qu’il nous donne donc la liste pour qu’on les arrête. Nous sur le terrain c’est différent », précise le lieutenant. Est-ce qu’il serait donc facile de faire l’escorte de tous les étrangers qui arrivent à Bamenda aujourd’hui ? Non, répond certains hauts gradés.
Il est possible de porter plainte contre l’Etat
Le procureur Bia Bakary, juge au tribunal de première instance de Mbouda, estime que les personnes victimes des enlèvements peuvent porter plainte contre l’Etat, mais dans un cadre bien précis. « Déjà au pénal, on ne poursuit pas l’Etat. Le chef d’entreprise, le cas échéant, peut engager une action à responsabilité devant une juridiction administrative. C’est-à-dire qu’il se présente au greffe du tribunal de Bamenda, on va le guider et il dépose sa plainte. Mais là, il va falloir démontrer pendant le procès, la responsabilité de l’Etat dans ce qui s’est passé. Ça fait que ce n’est pas quelque chose d’évident du tout. En entrant dans ce procès je ne suis pas sûr qu’il va s’en sortir, déjà il mettra des années, et on ne peut pas lui garantir la fin. Et là encore il court le risque d’être enlevé à nouveau en se rendant tout le temps aux audiences », explique le procureur.
« Moi je pense que dans certaines situations, comme chez nous au Nord, on dit que c’est Dieu qui a voulu, et on laisse tomber » conclut Bia Bakary.
Par ailleurs, Il précise que l’Etat peut poursuivre les kidnappeurs pour « enlèvement, séquestration et torture ». Mais faudrait encore qu’on arrive à les identifier et les rattraper.
Une action pareille menée par l’Etat, rentrerait en droite ligne de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui rappelle que l’Etat a le devoir de protéger la vie des citoyens. L’article 3 indique que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à la sûreté de sa personne ».
Hugo Tatchuam (Jade)