Massacre de Ngarbuh. Le tribunal militaire demande aux conseils de prendre les dispositions pour faire comparaître leurs clients le 18 mars 2021. Mais les avocats évoquent l’absence de moyens financiers et de sécurité pour assurer le déplacement des familles et des témoins.
Dans la nuit du 13 au 14 février 2020, une opération militaire, menée dans la localité de Ngarbuh au Nord-Ouest du Cameroun, pour neutraliser une bande de présumés sécessionnistes, avait provoqué la mort de plus de 22 personnes. Le procès de trois militaires, impliqués dans ce massacre, a été enrôlé à l’audience criminelle, tenue ce 18 février 2021 au tribunal militaire de Yaoundé. Mais il a été reporté au 18 mars 2021, pour convocation et comparution des familles des victimes et autres ayant droit devant le tribunal. L’autre motif du renvoi est la notification à certains accusés des actes pour lesquels ils sont poursuivis.
Assurer le déplacement des familles
Pour que les familles des victimes puissent comparaître le 18 mars 2021, le tribunal demande aux avocats constitués pour la partie civile de tout faire pour assurer le déplacement des familles des victimes et des témoins de ce drame. Mais les avocats évoquent le manque de moyens financiers et de garanties sécuritaires dans cette zone en proie à une crise socio-politique pour faciliter le déplacement de leurs clients à Yaoundé.
Me Dominique Fousse, avocat au barreau du Cameroun, qui défend les intérêts de certaines familles des victimes affirme : « Nous sommes en train de voir comment cotiser pour faire venir ces gens à Yaoundé. La réalité est qu’on ne pourra pas assurer leur déplacement tout le temps parce que cela nécessite beaucoup de moyens financiers que nous n’avons pas. C’est la plus grande difficulté à laquelle nous serons confrontés dans cette procédure »
Dans la même logique, la consigne a été donnée au représentant de l’Etat (ministère public), pour adresser les convocations aux familles des victimes, les invitant à prendre part à la prochaine audience. Certains avocats estiment que pour faciliter le déroulement de cette procédure, compte tenu des difficultés que rencontrent leurs clients, l’Etat doit prendre des mesures spéciales pour faciliter leur déplacement.
Me Thomas Dissake, avocat au Barreau du Cameroun soutient : « Nos clients vivent à plus de 300 km de la ville de Yaoundé où se déroule le procès. Il serait normal que l’Etat mette à leur disposition un fonds d’urgence et des dispositions sécuritaires qui leur permettront de se déplacer dans les conditions adéquates. Cette intervention de l’Etat permettra que la justice se fasse de manière équitable. Dans une autre mesure, l’Etat aurait pu décider dès le départ que cette procédure judiciaire se déroule à Bamenda dans le chef-lieu de la région du Nord-Ouest, où la majorité des témoins peuvent facilement se rendre ».
D’autres estiment qu’il ne revient pas au ministère public, qui poursuit, de couvrir les frais de déplacement. Selon eux, ces frais peuvent être supportés par les personnes et certaines associations. C’est l’avis partagé par Me Tchamba, avocat au barreau du Cameroun. La loi internationale ratifiée par le Cameroun oblige l’Etat à prendre les mesures pour assurer une justice équitable. C’est le cas de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dans ses articles 5, 6, 7 et 26». Dans l’article 26 il est notamment écrit : « Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte ».
Sur le plan national, l’article 335 du code de procédure pénale précise que « en cas d’assassinat, de meurtre ou de coups mortels, la déclaration verbale ou écrite de la victime est admise en témoignage. L’article 336 du code de procédure pénale renchérit dans ce sens : « Sont, nonobstant les dispositions de l’article 335, admises comme moyens de preuve, la déposition faite au cours d’une procédure judiciaire par une personne qui ne peut être entendue pour cause de décès, de délai trop court pour obtenir sa comparution, du coût excessif de son déplacement ou de l’impossibilité de la retrouver ».
« Un collectif pour les victimes »
En attendant, l’audience criminelle du 18 février s’est déroulée en présence de trois des quatre accusés : Baba Guida, Cyrille Sanding et Gilbert Haranga. Ces jeunes gens sont issus des rangs des forces de sécurité camerounaises. Ils ont été indexés dans le rapport d’enquête prescrit par le président de la République, au lendemain de ce massacre qui avait coûté la vie à vingt-deux civils. Les trois accusés sont en détention préventive à la prison militaire située dans l’enceinte du ministère de la Défense. Ils comparaissent pour coaction de meurtre, incendie et destruction, violence sur femmes enceintes, violation de consignes etc. Ces militaires sont soupçonnés de cas de violation des droits de l’homme lors d’une opération qu’ils ont menée dans la localité de Ngarbuh dont l’objectif était de neutraliser une bande de présumés sécessionnistes.
Un homme en civil poursuivi dans cette procédure est en fuite. Le représentant du ministère de la Défense était également présent à l’audience. Au moins trois cabinets d’avocats sont constitués pour défendre les victimes. Lors de l’audience de ce 18 février, madame Akoa, la présidente du tribunal qui dirige cette procédure, a demandé aux avocats de préciser les noms de leurs clients pour connaître ceux qui sont assistées et ceux qui ne le sont que pour d’éventuelles réparations en termes de dommages et intérêts. Mais cette proposition ne semble pas arranger certains avocats qui estiment que toutes les victimes de la crise anglophone doivent être défendues dans le cadre d’un collectif d’avocats. Me Amungwa est parmi ceux qui soutiennent l’idée d’un « collectif pour les victimes ».
Prince Nguimbous (JADE)