La Covid 19 accentue la vulnérabilité des Mbororos à l’Ouest
Les mécanismes de solidarité nationale et les exigences de l’article 16 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne sont pas suffisamment respectées.
A Didango, le lamido Mohamadou Rufai, chef traditionnel et religieux de ce village Mbororo situé dans le département du Noun, tire la sonnette d’alarme. « Les habitants de mon village sont exposés au Coronavirus. Nous avons été abandonnés par les pouvoirs publics. Le seul don reçu est celui du chef de l’État. Je dois mobiliser des amis personnels pour recevoir quelques appuis dans le cadre de la lutte contre cette pandémie. Je ne suis pas fatigué de sensibiliser les populations. Je joue à fond mon rôle de leader communautaire. Je m’exprime en fulfubé lors de mes messages de sensibilisation », soutient-il. Ce qui fait que certaines affiches confectionnées dans le cadre de la sensibilisation contre le coronavirus à Didango ont été traduit en fulfubé (langue parlée par les Mbororos). Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés(Ldl) pense que les Mbororos sont à risque parce quevictimes depuis des décennies d’une politique de discrimination orchestrées par les autres Camerounais, avec parfois le silence complice des autorités administratives et politiques de Yaoundé.
Malgré les affiches collées sur les murs de la chefferie de Didango, les habitants de cette localité, majoritairement analphabète, semblent n’avoir pas pris la réelle mesure du danger que représente le Coronavirus.
Pas de masques à l’école
Ainsi ce vendredi 05 mars 2021, des centaines d’enfants sont massés dans une salle pour suivre des enseignements coraniques. Ils n’ont pas de masque. Aucune mesure de distanciation sociale n’est respectée. Abdou Sallam, l’encadreur des bambins ignore l’importance des mesures citées. Il se contente de nous faire savoir qu’il a exigé des enfants de correctement se laver les mains avant d’entrer en salle. Un lavage des mains qui, selon notre observation, s’est fait sans savon ni gel hydro- alcoolique. Chez les adultes ayant prié dans la grande mosquée du village, aucune mesure barrière à la Covid 19 n’a été respectée. « Le risque de contagion au Coronavirus est particulièrement grand au sein des communautés Mbororos, car les repas y sont pris de manière collective dans les plateaux », affirme un conducteur de moto de la place. Lors de la tournée du préfet du département du Noun à Koutaba, le 05 mars 2021, M. Ta, sous-préfet de l’arrondissement éponyme a sensibilisé les autorités traditionnelles, au rang desquelles le lamido de Didango, à servir de relais pour barrer la voie à la Covid 19 dans cette circonscription administrative. Mais, cette autorité n’a communiqué aucun détail sur le mode opératoire des pouvoirs publics. Alors que l’article 16 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples prescrit : « 1.Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. 2. Les États parties à la présente Charte s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer une meilleure santé ».
Dans cette logique, le 05 mars dernier, Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale a signé un communiqué pour inviter les autorités administratives et religieuses à tous les niveaux de veiller à ce que les mesures barrières soient respectées lors des manifestations publiques. Pour les funérailles et célébration de divers cultes, il ne faut pas plus de 50 personnes en salle. Le port du masque et les mesures de distanciation sociale doivent aussi être respectées.
La santé n’est pas un luxe
Au plan international, comme le révèle le site d’informations de l’Organisation des nations unies(Onu), https://news.un.org/fr/story, la situation des minorités et des personnes vulnérables est prise au sérieux face à la Covid 19. « Bien que le virus représente un risque pour tous, son fardeau n’est pas partagé de manière égale », a déclaré Michelle Bachelet, Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. « Parmi les plus touchés par l’impact de la pandémie de Covid-19 figurent les personnes d’ascendance africaine et les membres de minorités raciales, ethniques et religieuses, « dont les droits ont été trop longtemps bafoués par un racisme structurel » »,a-t-elle ajouté.
« La santé n’est pas un luxe, c’est un droit de l’homme », selon – Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé(Oms). Cette organisation internationale souligne que la pandémie a touché de manière disproportionnée les personnes vulnérables. Il s’agit notamment des minorités ethniques et des familles à faible revenu à l’instar des Mbororos du Cameroun. « Dans ces conditions, le Dr Tedros estime que le nouveau coronavirus est « la preuve que la santé n’est pas juste le produit du développement mais une condition de base pour la stabilité socio-économique du monde ». « La santé n’est pas un luxe pour ceux qui peuvent se le permettre, c’est un droit de l’homme » a insisté le chef de l’OMS. Et cette « menace mondiale commune » à laquelle le monde est confronté exige une réponse commune. Et « une réaction commune est indispensable dans ce domaine ». L’OMS entend ainsi travailler avec tous les acteurs pour faire face à cette pandémie et « permettre à tous d’avoir accès aux soins et aux vaccins » », rapporte le site Onusien. Charlie Tchikanda préconise un élan de solidarité nationale pour permettre, face à la Covid 19, une égalité des chances pour tous.
Un confinement fraternel

Ahmadou Ahidjio Yerima, traducteur du fulfubé au français à la cour d’appel de l’Ouest, fait partie des rares membres de la communauté Mbororo de l’Ouest ne cachant pas son statut de « blanc » au milieu de son groupe sociologique. Car, il y est connu comme une personne dont les attitudes et aptitudes sont arrimées aux exigences de la vie moderne. Mais malheureusement, il se trouve actuellement en confinement dans un centre à Yaoundé, parce qu’atteint de la Covid 19.
Mais, selon lui, il n’y pas que des mauvaises nouvelles parmi le flot des informations alarmantes. « Cette maladie ne connaît pas de religion ou d’origine ethnique. Je suis Mbororo. Je me trouve en confinement à Orca Yaoundé avec six personnes membres des autres ethnies du Cameroun. Nous vivons en toute fraternité. Nous sommes tous atteints par la Covid 19. Cette maladie n’est pas une fatalité. Le gouvernement a pris toutes les dispositions pour nous accompagner. Je vais m’en sortir », déclare-t-il.
Guy Modeste DZUDIE(JADE)