L’Onu annonce 11 000 nouveaux déplacés enregistrés en février.
Les populations ont fui les affrontements violents qui se multiplient en ce moment entre les forces gouvernementales et les combattants séparatistes. Des cas d’assassinats, de malnutrition, d’absence de vaccins chez les nourrissons sont signalés. Des violations graves des lois internationales ratifiées par le pays.
« 11 000 personnes ont été déplacées dans les deux régions anglophones touchées par les conflits au mois de février 2021 ». L’annonce est contenue dans le dernier rapport du bureau des nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Unocha).
Le rapport évalue l’impact des combats en cours en ce moment entre les forces gouvernementales et les combattants séparatistes. Le rapport révèle que dans le nord-ouest, les divisions les plus touchées sont les départements de la Mezam qui compte 47600 déplacés, Bui avec 46500 déplacés et Donga Mantung, 40900.
Dans la région du Sud-ouest, le département de la Mémé prend la tête avec 67800 déplacés, suivi du Fako avec 39100. Depuis février, parmi les régions qui ont accueilli le plus de déplacés, on peut citer la région de l’Ouest qui en accueille au moins 162 000, et le Littoral 80900.
Malnutrition et maladies signalés.
Le rapport souligne que 377 incidents de violences basées sur le genre (VBG) ont été enregistrés durant le mois de février. 245 000 personnes dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest ont besoin d’aides alimentaires et de moyens de subsistance. 16383 nourrissons et femmes enceintes ont besoin de vaccins de routine, 44 enfants, atteints de malnutrition sévère (MAS), ont besoin d’un traitement approprié. A cela s’ajoutent les cas positifs de covid 19 chez les enseignants et les étudiants.
Spectre de misère saisissant sur le terrain
Ce samedi 10 avril à Bamenda, le député de la Mezam Fusi Naamukong du Social democratic front (sdf) nous présente les maisons incendiées par les groupes armés séparatistes. « Vous voyez, la situation s’est aggravée, c’est toujours la guerre. Nous sommes toujours en crise. Beaucoup de personnes ont fui Bamenda. Depuis l’échec du dialogue national, tout a empiré. Depuis janvier, les affrontements sont devenus plus violents. Les militaires ont multiplié les offensives dans les villages en croyant neutraliser tous les combattants anglophones. Malheureusement ils se sont trompés, ce n’est pas la bonne stratégie. Cela a entraîné l’augmentation des conflits », souligne le député.
Face à la rigueur de l’armée, les combattants séparatistes opèrent par la ruse, en installant les engins explosifs sur les routes, ou en tendant des embuscades. Dans le département de la Mezam, les populations qui ont fui les combats ont trouvé refuge dans les vieilles cabanes abandonnées. Dans l’un des petits quartiers, nous rencontrons plusieurs femmes qui portent des nourrissons. L’une d’elle affaiblie, nous explique que la plupart des enfants n’ont pas reçus de vaccins de routine depuis la naissance.
«De zéro à neuf mois, les vaccins sont gratuits. Après neuf mois jusqu’à un an, les vaccins sont payants. A cause des conflits, les hôpitaux ont été détruits, et les équipes de vaccination ne peuvent pas arriver dans les arrondissements. C’est pour cette raison que les nourrissons ne sont pas vaccinés. Même les vaccinations gratuites contre la poliomyélite qu’on fait partout dans le pays, c’est inexistant ici », explique-t-elle.
Des enfants de zéro à cinq ans rencontrés, présentent pour la plupart, des signes de malnutrition. Le département est coupé du reste du pays. Les camions qui faisaient la livraison des marchandises ont cessé d’approvisionner les marchés et lieux de commerce. Les habitants sont obligés de se contenter d’une alimentation réduite aux denrées locales, et naturellement moins riche pour les enfants.
A Molyko dans le département du Fako région du sud-ouest à Buéa, nous rencontrons Paule Eliane Meubeukui, présidente de l’association humanitaire MIR. Elle indique que de nombreux déplacés sont arrivés de toutes parts depuis le mois de février. « Il n’y a pas de centre pour les accueillir. Ils vont soit chez les membres de leurs familles, soit chez les personnes généreuses ».
Dans les quartiers Great Soppo et Muea, les déplacés que nous rencontrons relatent les difficultés rencontrées par les femmes enceintes. « Beaucoup dans les villages où on se trouvaient n’avaient jamais rencontré de gynécologue. Les hôpitaux publics sont fermés. Il n’y a plus de médecins spécialistes dans les zones de conflits. On était obligé de recourir à la médecine traditionnelle. Quelques cas de viols sur nos filles ont été enregistrés. Mais personne ne peut faire de dénonciations », révèlent-elles.
Au quartier Mambanda à Douala, dans le quatrième arrondissement, le commandant de la brigade de gendarmerie de Mambanda, l’adjudant-chef Christian Mabvuer, indique que parmi la vague des nouveaux déplacés recensés dans ce quartier majoritairement peuplé par les ressortissants anglophones, l’état de santé de certains inquiète. « Il y a des maisons avec plus de 20 personnes pour seulement trois pièces. En ces temps de coronavirus, c’est dangereux », affirme-t-il.
Le gouvernement préfère le silence
Le préfet du département de Ngoketunjia dans la région du Nord-ouest Anderson Quetong Kongueh affirme que le gouvernement préfère pour le moment garder silence, et communiquer plus tard. « Il est bon de communiquer pour donner des bonnes nouvelles. Sur la situation actuelle, nous préférons attendre un peu, que les choses se calment pour faire des déclarations. On ne veut plus faire de prévisions. Vous pouvez en faire, mais ça se passe autrement », martèle le préfet.
Le département de Ngoketunjia est l’un des plus dangereux. Ndop, Babessi et Balikumbat, ses arrondissements, sont le théâtre au quotidien de violents combats et enlèvements. Le domicile familial du préfet a d’ailleurs été incendié par les combattants séparatistes.
Non-respect de la loi
L’augmentation des violences basées sur le genre en zone anglophone, l’absence de vaccins chez les enfants, et du suivi des femmes enceintes ainsi que l’augmentation des cas de malnutrition et d’assassinat sont des manquements graves aux devoirs de l’Etat.
En effet, l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». L’article 2 rappelle que l’Etat a le devoir d’apporter l’assistance à toutes les populations sans distinction de langue, d’opinion et autres. Les deux régions anglophones ne doivent pas être marginalisées parce qu’elles ont des opinions contraires à celles du gouvernement.
Les cas relevés représentent aussi une violation de l’article 4 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui précise que « tout être humain a droit au respect de sa vie, et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ». Et l’article 5 qui réclame le respect de la dignité humaine. Toute forme d’abandon et de marginalisation de ce droit par l’Etat est interdite.
Les Etats parties ayant promis de respecter les différents engagements, le Cameroun a donc pour obligation d’assurer la sécurité des habitants des régions anglophones en ces périodes de conflits.
Hugo Tatchuam (Jade)