Crise anglophone. Au moins huit journalistes ont été enlevés cette
année par les séparatistes au Nord-Ouest et Sud-Ouest. Une situation
qui préoccupe Reporters sans frontières. Dans le dernier rapport de
cette Ong dans le classement mondial de la liberté de la presse, le
Cameroun se trouve à la 135ème pour l’année 2020.
Les journalistes exerçant dans les régions du Nord-Ouest et le
Sud-Ouest Cameroun restent une cible privilégiée pour les séparatistes
armés, dans le cadre de la crise sécuritaire qui perdure depuis plus
de quatre ans dans ces deux régions. Le 24 avril 2021, Moni banjo
Massongo, journaliste exerçant dans le Sud-Ouest comme chef de centre
de la Jeunesse à Mbonge a été enlevé par les séparatistes qui ont
exigé une somme de 500 000FCfa pour sa libération. Le même week-end,
le Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc) a annoncé le
kidnapping d’un de ses membres dans la région du Nord-Ouest. Quelques
heures après, les deux journalistes ont été libérés. Fame Bonyuy
Ayisse, journaliste à la Crtv Buéa a été kidnappée dans la journée du
14 mars 2021 par les séparatistes. Conduite dans une localité
inconnue, elle avait été torturée et libérée 24h après son enlèvement.
En avril 2020 à Bamenda, chef-lieu de la région du Nord-Ouest, le
journaliste Choves Loh, chef d’agence de la Société de presse et
d’édition du Cameroun (Sopecam). Ce responsable régional du journal
gouvernemental a été libéré 24h après son enlèvement. Une fois
kidnappés par les hommes armés, ces journalistes sont torturés avant
d’être libérés. Difficile de dire si le paiement des rançons exigées
reste le moyen pour obtenir la libération des journalistes.
Ce climat de terreur et de peur qui pèse sur les journalistes rend
difficile l’exercice du métier de journaliste. Ce 3 mai 2021, le
Cameroun s’est joint au reste du monde pour célébrer la journée
mondiale de la liberté de la presse. Le thème choisi par l’Unesco pour
cette édition 2021 est : « l’information comme bien public ». Les
associations de défense des intérêts des journalistes sont préoccupées
par la situation des professionnels des médias dans ces deux régions
en cette période de commémoration de la journée mondiale de la liberté
de la presse.
Presse en danger
Inès Danielle Ondoa Balla, est la présidente régionale du Syndicat
national des journalistes du Cameroun (Snjc) dans la région du
Sud-Ouest. Elle affirme : « Les descentes sur le terrain deviennent
un risque, les journalistes reçoivent les menaces par téléphone. Le
droit du public à l’information et le devoir du journaliste d’informer
est ainsi violé avec ces multiples enlèvements Dans notre plan
d’action, nous comptons saisir les autorités de la région pour leur
demander de mettre en place une plateforme qui prend en compte la
sécurité des journalistes travaillant dans les zones en conflit entre
l’armée régulière et les séparatistes anglophones».
Dans le cadre des activités liées à la célébration de la journée
internationale de la liberté de presse, les responsables syndicaux de
la région du Sud-Ouest ont initié la semaine au cours de la semaine
qui vient de s’achever des journées de rencontre auprès des autorités
administratives et des forces de maintien de l’ordre : « Nous avons
rencontré le gouverneur du Sud-Ouest, le préfet du Fako et les
responsables des forces de défense. Nous avons demandé à ses autorités
de protéger les journalistes qui travaillent dans les conditions
sécuritaires déplorables. Depuis le déclenchement de la crise
sécuritaire, cinq journalistes exerçant dans le Sud-ouest ont déjà été
kidnappés par des inconnus », ajoute la présidente nationale du Snjc
pour le Sud-Ouest.
En dehors des cas de kidnapping, les journalistes exerçant dans ces
deux régions sont victimes des arrestations. C’est le cas de Samuel
Wazizi, un journaliste décédé dans les conditions troubles alors qu’il
était entre les mains des militaires. Kingsley Njoka journaliste
exerçant dans le Sud-Ouest est poursuivi aujourd’hui devant le
tribunal militaire pour complicité avec les terroristes.
Me Amungwa, avocat au Barreau du Cameroun se dit très gêné de la
manière dont certains journalistes sont traités dans le cadre de la
crise sécuritaire qui sévit dans le Nord-Ouest. Ce juriste défend le
journaliste Kingsley Njoka devant le tribunal militaire de Yaoundé.
Selon l’avocat, les journalistes sont parfois interpellés par le
simple fait qu’ils ont été en contact avec certaines personnes
présentées comme étant les séparatistes. « Cela ne devrait pas se
faire parce que dans le cadre de l’exercice de son métier, le journal
est sensé être en contact avec plusieurs sources »
Les Ong dénoncent
Une situation qui préoccupe l’Ong international Reporters sans
frontières (Rsf). Arnaud Froger, responsable de Rsf pour l’Afrique
affirme : « L’exercice du journalisme au Cameroun en général est
particulièrement périlleux comme le relève notre dernier rapport. Le
pays pointe à la 135ème place soit moins une place par rapport en
2020. C’est son pire classement depuis que nous utilisons la
méthodologie mise en place en 2013. Cela est d’autant plus vrai pour
les journalistes évoluant dans les régions anglophones du pays. Le
niveau de menace et d’intimidations y est important. Des journalistes
y sont parfois arbitrairement arrêtés voire pire si on se réfère au
cas de Samuel Wazizi qui est mort alors qu’il était détenu par les
militaires depuis plusieurs mois. Ces exactions se passent souvent à
l’abri des regards de tout le temps dans la plus grande impunité ».
Le représentant de RSF pour l’Afrique affirme que l’émoi international
provoqué par la mort dans les circonstances plus suspecte du
journaliste Wazizi ne s’est traduit par aucune action significative de
la part des autorités afin que justice lui soit rendue. Rsf invite les
autorités camerounaises de garantir la sécurité aux journalistes. Il
souhaite également que les « arrestations arbitraires et les
intimidations » à l’endroit des journalistes cessent
Un responsable du ministère de la Communication affirme l’Etat reste
préoccupé au retour de la paix dans les régions du Nord-Ouest et du
Sud –Ouest en ces temps de crise. « Les séparatistes ne ciblent pas
uniquement les journalistes. Les fonctionnaires, les enfants, les
femmes et les religieux subissent des affres de ces gens sans foi ni
loi. L’Etat déploie tous les moyens nécessaires pour assurer la
sécurité pour tous les citoyens y compris les journalistes qui
exercent dans ces deux régions. La liberté de la presse est protégée
et garantie au Cameroun, mais sauf que depuis le déclenchement de la
crise anglophone, plusieurs journalistes sont utilisés comme étant des
relais de certains séparatistes », affirme notre source.
Les kidnappings, les arrestations arbitraires et les menaces à
l’endroit des journalistes violent plusieurs conventions
internationales ratifiées par le Cameroun. Parmi ces conventions, l’on
peut citer l’article 19 de la déclaration universelle des droits de
l’homme précise en son article 19 que : « Tout individu a droit à la
liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas
être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et
de répandre, sans considération de frontières, les informations et les
idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Dans la même logique, l’article 19 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques stipule en son article 19 que : « Nul ne
peut être inquiété pour ses opinions.2. Toute personne a droit à la
liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de
recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce,
sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite,
imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.3.
L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article
comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il
peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent
toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires
:a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) A la
sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou
de la moralité publiques.
Prince Nguimbous (JADE)