Malgré la promesse de l’Etat, ils continuent de payer
Cela fait quelques années que le gouvernement camerounais avait annoncé la gratuité des frais de scolarité pour les élèves qui ont fui la guerre au Nord-ouest et au Sud-ouest. Mais dans les établissements scolaires publics, la réalité est différente.
« Nous sommes élèves en classe de Lower six (la Terminale chez les anglophones) au lycée classique de Ngouache. Nous habitons le quartier Toungang village à Bafoussam. Nous avons payé nos 50 000 Fcfa de frais de scolarité. Mais, aujourd’hui, on nous demande de payer encore 3000 Fcfa. On ne sait pas pourquoi. Sinon lundi on va nous chasser. Nous sommes une quarantaine dans ce cas », se sont indignés deux élèves déplacés anglophones, qui ont souhaité intervenir sous anonymat. Par ailleurs, il n’a pas été aisé pour ces deux filles qui ont fui le conflit dans le Nord-ouest et Sud-ouest, de régler leur scolarité, car elles habitent avec leurs grandes sœurs couturières, des neveux, des cousins dans des studios de fortune où les uns et les autres peinent à joindre les deux bouts.
Pourtant, il y a quelques années, des mesures avaient été prises par le gouvernement, pour garantir l’accès gratuit et facile dans les lycées à tous ces enfants déplacés. Et cela pour respecter l’article 26 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948) : « toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ».
L’absence de note officielle
Lors de son passage dans la région de l’Ouest, dans le cadre du suivi-évaluation de la mise en œuvre du «plan d’urgence d’assistance humanitaire, offert par le Chef de l’Etat, Paul Biya, aux personnes déplacées, les 27 et 28 août 2019, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, annonçait « la gratuité et la priorité de l’accès dans les établissements scolaires des enfants des familles déplacées » (extrait Cameroon tribune du 29 août 2019). Approché, le proviseur du lycée classique de Ngouache, Moubé Ngueko Sylvain Honoré, affirme n’être pas au courant de cette mesure gouvernementale. « Les élèves dits élèves déplacés sont des élèves qui sont partis de chez eux et qui vivent ici avec leur famille d’accueil. On n’a jamais dit que ces élèves déplacés ne payaient aucun frais. Ce n’est pas ce qu’on a dit. Non. Par contre, nous avons une liste dite des élèves indigents. Ils sont 21. Ce sont des handicapés ou issus de parents handicapés. Cette liste-là existe. Ceux-là sont des élèves exemptés, c’est-à-dire qu’ils ne payent rien », a déclaré le proviseur. Toutefois, celui-ci n’a pas tenu à nous donner des informations précises sur les frais supplémentaires de 3000 Fcfa dont se plaignent les élèves déplacés. « On ne chassera aucun enfant lundi. Aucun enfant ne sera renvoyé », a-t-il laissé entendre.
A la délégation départementale des enseignements secondaires de la Mifi, la déléguée, Chantal Chouloh, ne s’est pas inscrite en faux contre ce non-respect de la gratuité des frais de scolarité des élèves déplacés annoncé par le ministre de l’administration territoriale. Pour elle, aucune note n’a été signée par le ministre des enseignements secondaires, Nalova Nlyonga, pour matérialiser cette décision. « Est-ce vous avez une note qui précise que les élèves déplacés ne doivent pas payer la scolarité ? Il n’y a aucune note. La seule note que nous avons ici c’est la note qui précise que les enfants handicapés ou issus de parents handicapés ne doivent pas payer la scolarité. Nous recevons les ordres de notre haute hiérarchie. Je peux vous montrer les différentes notes, et nous les respectons à la lettre ces recommandations de la hiérarchie ». Interrogée au sujet des frais supplémentaires non officiels de 3000 Fcfa exigés à ces élèves déplacés, Chantal Chouloh a promis une enquête pour voir plus clair. « Par rapport aux frais supplémentaires de 3000 Fcfa, laissez-moi le temps de vérifier à quoi ils servent ? Pourquoi il (le proviseur) a mis 3 milles francs en plus ? Si la scolarité a été augmentée, ce sont les parents qui décident. Et quand les parents décident, nous envoyons la note à la haute hiérarchie, parce que c’est madame la ministre qui valide l’augmentation de l’APEE. Ce n’est pas le proviseur. Et depuis au moins trois ans madame la ministre a demandé de ne pas augmenter les frais de scolarité », a-t-elle ajouté.
La nécessité d’un outil réglementaire
Pour Augustin Ntchamande, secrétaire exécutif de l’Organisation des parents pour la promotion de l’éducation au Cameroun (Onaped), c’est une cacophonie gouvernementale qui est légitime selon les points de vue. « Sur cette question des déplacés internes de la crise du Nord-ouest et Sud-ouest à qui le ministre de l’administration territoriale avait promis la gratuité des frais de scolarité, la lecture que nous faisons est simple. Il s’agit là d’une énième cacophonie au niveau de l’action gouvernementale. Parce que vous avez là deux ministères, le ministère de l’administration territoriale et le ministère des enseignements secondaires. L’un qui promet une chose et l’autre qui ne met pas en application, notamment au niveau des établissements scolaires. C’est légitime pour les gens qui ont perdu l’essentiel de leurs moyens de s’accrocher à une promesse du ministre. C’est également légitime pour ceux qui gèrent les établissements scolaires de se dire, « Ok nous n’avons pas reçu de note formelle de notre hiérarchie, nous rendons compte au ministre des enseignements secondaires de nos actions. Et vu sous cet angle-là on peut bien comprendre que les chefs d’établissements ne soient pas enclins à faire fonctionner des établissements scolaires avec des déplacés internes qui ne paient pas les frais de scolarité », a-t-il expliqué.
Or pour ces enfants déplacés qui, pour certains, en fuyant la violence dans le Nord-ouest et Sud-ouest, ont perdu leurs familles, il faut dire que l’Etat a intérêt à prendre des mesures pour leur garantir et faciliter l’accès à l’éducation. Ceci permettra dans l’objectif du développement durable, de favoriser l’accès équitable à l’école pour tous les enfants. D’ailleurs c’est pourquoi, dans le Pacte de droits économiques, sociaux et culturels, article 13-b), il est indiqué que : « l’enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ».
Nacer Njoya (Jade)