Des crimes impunis. L’élimination des albinos se fait en silence

Dans les régions du nord et de l’extrême-nord du Cameroun, des nouveau-nés albinos seraient sacrifiés à la naissance. En silence. Dans d’autres régions, les pratiques liées à la superstition ont drastiquement fait baisser leur nombre estimé à 2200 au Cameroun. Les ongs élèvent la voix et demandent à l’Etat de punir les coupables, afin de mettre un terme à ce « génocide volontaire » dans un pays de droit.

13 juin 2021. Cent soixante albinos et membres de leurs familles se réunissent au bureau de l’association mondiale pour le plaidoyer et la solidarité des albinos à Yaoundé. C’est à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la sensibilisation à l’albinisme sous le thème « la force au-delà de toute attente ». Parmi eux, Ronald Essi un albinos âgé de 16 ans. Il vient d’un village extrêmement éloigné, situé après Angossas, dans la région du centre.

Victime d’abus et de violences à cause de son albinisme, sa mère l’a abandonné alors qu’il n’avait que 2 ans. Récupéré par un prêtre d’une église catholique, il a fallu batailler dur pour pouvoir le garder en vie, car les habitants du village voulaient  mettre un terme à sa vie, à cause de certaines superstitions, qui recommandaient à son  papa de se débarrasser de lui parce que les albinos ont des pouvoirs surnaturels et portent malheur à la famille.   

Yousso Queri est un membre de l’antenne Cameroun de l’association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos (asmodisa). Rencontré dans un hôpital à Mokolo au mois de juin, dans la région de l’extrême-nord, il mène depuis quelques années une enquête dans les hôpitaux des régions du Nord et de l’extrême-Nord pour vérifier l’information selon laquelle les nouveau-nés sont systématiquement tués à la naissance, soit par les parents eux mêmes, soit par la communauté à laquelle appartiennent leurs familles.

« Dans cette partie du pays, il n’y a pas d’albinos. Bref, disons quelques-uns en ce moment, puisque les mentalités évoluent déjà. Nous avons reçu de nombreuses plaintes des populations qui souhaitent qu’on les aide à mettre un terme à cette injustice. Nous avons déjà recueilli plusieurs données. Les tribus qui peuplent cette partie du pays, c’est-à-dire les Mosgoum, les Kotokos, les Arabes Choas et d’autres ont des croyances mystiques très fortes sur les albinos. Ce qui fait que dans un silence complice, les bébés albinos qui naissent dans ces contrées sont en toute logique éliminés, parce qu’ils représentent une malédiction pour le village », explique Yousso.

Un peu plus loin dans le village Mogodé, nous rencontrons une vieille dame âgée de plus de 80 ans. En langue locale, elle nous explique qu’à une certaine époque, tout nouveau-né albinos était déposé au bord d’une rivière dans un panier afin que les eaux le ramènent dans son monde. Car l’enfant s’était trompé de monde.

De plus en plus, les associations locales ont écrit aux autorités administratives pour dénoncer l’impunité qui favorise ces actes barbares. Un véritable  « génocide volontaire » que beaucoup aimeraient voir disparaître à travers la condamnation des coupables.

Petit changement dans le Mayo Tsanaga

Dans ce département de près de 5 000 km², peuplé de 7 000 habitants et situé le long de la frontière avec le Nigeria, les mentalités évoluent, mais  très lentement en ce qui concerne « l’acceptation des albinos dans cette  société ». Un léger changement qui s’explique par le fait que de plus en plus des personnes originaires de ces villages vont vivre ailleurs, et adoptent une culture différente de la leur. 

C’est le cas de Alpha S, originaire du village Hina. Il est né à Bafoussam dans la région de l’Ouest, a grandi à Yaoundé et est revenu vivre dans son village. Il y a quelques mois, son épouse a donné naissance à un bébé albinos. Il reconnaît qu’il sera difficile de faire accepter son fils, car la discrimination est toujours forte. « Mon enfant sera toujours une personne à part », regrette-t-il.

Des villages à risque

Une centaine de villages ont été recensés officiellement par le ministère des affaires sociales comme étant dangereux pour les personnes albinos au Cameroun. Des villages où se font encore « des pratiques d’une autre époque » à cause de certaines superstitions liées à l’albinisme.   

Dans les régions de l’Est et du Sud, les sorciers prétendent que les albinos apporteraient richesse et chance aux personnes qui auraient accès à certaines parties de leurs corps. Pour cela, à l’approche des élections, des albinos seraient mutilés, d’autres tués pour des pratiques de fétichisme mystique afin d’assurer le succès à un candidat, ou garantir une belle carrière à un footballeur professionnel, ou encore avoir du bonheur dans son mariage. Des croyances qui résistent à l’épreuve du temps, et sont toujours très répandues.  

Education et emploi

Les albinos sont aussi confrontés à d’autres types de problèmes. Gregoire Amindeh, l’un des membres de l’association pour la promotion des droits des albinos, affirme que bien que le gouvernement ait fait beaucoup d’efforts, les albinos ont toujours besoin de toute urgence de lunettes de lecture spéciales et de loupes à main, pour arrêter leur taux d’abandon du secondaire pour raison de mauvaise vision.

Par ailleurs, il est difficile pour les personnes albinos de se rendre dans les établissements de santé pour le dépistage et le traitement des cancers de la peau, de recevoir des soins lorsqu’elles souffrent de troubles de la vue ou d’acheter de la crème solaire qui n’est pas toujours facile de se procurer, en particulier en zone rurale. Cette année, le Cameroun a signalé que les hôpitaux spécialisés aux soins des personnes albinos sont rares, surtout dans l’arrière-pays, et des efforts devraient être faits pour remédier à cela.

Jean Jacques Ndoudoumou, président fondateur de l’association mondiale pour le plaidoyer et la solidarité des albinos, reconnaît que la situation sociale de ces derniers a considérablement changée surtout en zone urbaine. « De nombreux albinos sont diplômés des universités et utilisent les connaissances qu’ils acquièrent pour contribuer au développement du pays ». Pour lui, les plaintes ont diminué, mais les albinos sont des personnes qui ont besoin d’une assistance spéciale, et il revient à l’Etat de jouer ce rôle d’équilibre. 

Soutien du gouvernement.

Pauline Irene Nguene, la ministre des affaires sociales, déclare que les albinos sont placés dans le groupe de personnes ayant des besoins particuliers de protection. Elle précise qu’en 2020, le personnel de son ministère a visité plus d’une centaine de villages où des violations de droits des albinos ont été indiquées. Mais aucune sanction n’a été prononcée contre les auteurs des abus. Un laxisme fortement décrié par les hommes de lois. Pourtant le ministère a le devoir de « prévention, de protection et d’assistance » à ces personnes vulnérables.

Punir les coupables

Pour les avocats, l’article 277 du code pénal devrait être appliqué pour sanctionner tous ceux qui font des mutilations aux albinos pour des pratiques de fétichisme. Cet article puni d’un emprisonnement de 10 à 20 ans « celui qui cause à autrui la privation permanente de l’usage de tout ou d’une partie d’un membre, d’un organe ou d’un sens ».

Par ailleurs, la discrimination est proscrite par la convention relative aux droits des personnes handicapées. L’article 5 précise que « Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement ».

Hugo Tatchuam (Jade)

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