Le 25 Août, le commandant de compagnie de Douala 1e décide d’aller détruire des maisons qui font l’objet d’un litige, sans attendre la décision finale du tribunal, et en lieu et place d’un huissier censé exécuter les décisions de justice. Descendu sur les lieux pour s’opposer à cet abus, l’avocat Richard Nseke Njoh sera molesté, jeté dans une cellule, et entendu pour « rébellion » à la légion de Bonanjo. Une agression de trop qui passe mal.
« Une décision de justice exécutée en l’absence d’un Huissier de justice…malgré l’exercice d’une voie de recours… ? C’est du jamais vu ça », s’exclame Me Richard Nseke Njoh, rencontré ce jeudi 26 Août à son cabinet à Douala. Il porte encore les séquelles de la bastonnade reçue la vieille. Ses lunettes ont été cassées, ses vêtements déchirés. « Il a fallu une intervention musclée du représentant du bâtonnier dans le Littoral pour que je sois relâché très tard dans la nuit d’hier. Les éléments de la gendarmerie m’avaient jeté dans une cellule à la légion de Bonanjo. Ils m’ont entendu pour rébellion. Ils s’apprêtaient à me déférer en prison », explique –t-il.
Bavure grave.
Une procédure oppose les membres d’une famille qui se querellent à propos d’une maison dans le quartier Bali. Le juge des référés a rétracté l’ordonnance d’expulsion réclamée par l’une des parties en se déclarant incompétent. Alors que l’extrait du plumitif (compte rendu d’audience) servi à l’huissier instrumentaire s’oppose à toute sommation et que l’affaire est portée devant la cour d’Appel, la gendarmerie décide d’intervenir. L’avocat a été informé par ses clients de la visite du commandant de compagnie, venu annoncer que les maisons faisant l’objet du litige vont être détruites. « J’ai demandé à mon client de se munir de toute la documentation mise à sa disposition par mes soins qui prouve l’existence de procédure devant le juge du contentieux en appel », précise Me Richard Nseke.
Jour de démolition
Ce 25 Août matin, alors que l’avocat était à une audience sociale au tribunal de grande instance de Bonanjo, un client l’a appelé pour l’informer qu’un engin est en train de détruire les maisons, objets des querelles familiales. L’opération est encadrée par des gendarmes dont le commandant de compagnie de Douala 1. À la question de savoir s’il y avait un huissier et s’il avait présenté les documents justifiant leur action, le client a répondu par la négative.
« Je lui ai demandé qui conduisait l’opération il m’a dit le commandant de compagnie. Et a poursuivi que ce dernier a demandé que je vienne sur place afin de me présenter les documents », affirme l’avocat, qui s’est rendu sur le site. Y étant, il a constaté l’absence d’huissier et s’est rapproché du premier gendarme qui l’a référé au commandant vers qui il s’est dirigé. Après les civilités et alors que l’engin continuait à démolir les maisons. Après lui avoir demandé où était l’huissier à qui ils sont supposés apporter l’assistance, l’officier a affirmé qu’il n’y a pas d’huissier.
« J’ai demandé à prendre connaissance des documents qu’il a promis de me faire voir », mais aucun document n’a été présenté. Ensuite le commandant a dit qu’il agit sur instruction du procureur général. Après lui avoir rappelé que ce qui se passe est illégal, et qu’il s’agit d’un abus, et que c’est à tort qu’il s’y associe, le ton s’étant élevé, « les gendarmes ont bondi sur moi et ont commencé à me brutaliser sous le prétexte que j’aurais outragé leur chef avant de me traîner de force dans leur véhicule, me menotter et me conduire à la compagnie après avoir cassé mes verres, déchiré mes vêtements et confisqué mon téléphone. Alertée par les confrères ayant accouru à la suite d’un heureux hasard, Mme le représentant du bâtonnier a été mise au parfum de la situation et a dépêché sa consœur Me Weguela chargée de la veille professionnelle de venir personnellement rencontrer le commandant de la légion et celui de la compagnie.
L’avocat Me Richard Nseke a été entendu pour rébellion. Mme la représentante du bâtonnier a obtenu qu’il rentre libre avec son client, lui aussi brutalisé et embarqué dans la foulée. A l’inverse du déferrement annoncé par le commandant de compagnie, les deux hommes ont été libérés.
Colère des avocats
La réaction des avocats ne s’est pas faite attendre. L’ancien bâtonnier Me Charles Tchoungang affirme « lorsqu’on s’attaque au dernier rempart d’un Etat de droit, c’est soi-même que l’on fragilise. Evitons de construire un pays de violence. Je suis et demeure le défenseur de la défense. Solidarité avec notre confrère ».
Me Minou Sterling précise : « Encore des brutalités contre les avocats. Nous ne sommes pas au-dessus de la loi, mais nous ne sommes pas des brigands de grand chemin ni des voyous. La brutalité dénote en général d’un manque de professionnalisme ou d’une insuffisance. La brutalité relève parfois, comme dans ce cas, d’une injustice ». « On doit être respectueux de cette profession. Mépriser l’avocat ne nous grandit pas», renchérit Me Ashu Agbor.
Me Martin Bekono oppose, quant à lui « la force qui l’emporte sur le droit, nous fait revenir à l’état de nature. Ceux qui appellent de leurs vœux les actes barbares contre la loi, n’attendent jamais avant que l’état de nature se retourne contre eux-mêmes ».
Me Didier Betind, lui, s’en prend directement au comportement des dirigeants et de leurs représentants. « On se trouve dans un pays avec une justice bananière, des gangsters en bidasses, une justice décadente. Cette violence judiciaire brute doit cesser. Car tout est fait pour intimider », s’emporte-t-il.
Et Me Barnabe Youdom est dans le même registre, quand il affirme : « Un avocat froissé, menotté, et traîner de force dans une unité de gendarmerie, voilà ce que devient ce pays, un ilot de gangsters. Dans une république sauvage, l’avocat ne représente rien ». Pragmatique Me Ernest Fotso constate simplement : « Le gendarme ne pourra jamais faire le travail d’un huissier de justice ».
Une plainte pour coups et blessures
Le représentant du bâtonnier dans la région du Littoral aurait déposé une plainte contre les agresseurs de l’avocat Richard Nseke. Aux dernières nouvelles, le barreau a demandé de ne plus donner toutes les informations sur cette plainte à la presse. « Une action très forte est en préparation, en plus de demander la sanction des agresseurs de l’avocat, le ministre de la justice sera rencontré.
Car ce cas d’agression est de trop. Il y a quelques mois, des avocats avaient été gazés dans un tribunal par la police. On constate que l’impunité ne fait que faire croître les agressions. Les coupables doivent être punis » précise une source proche du bâtonnier.
Cette agression est par ailleurs une violation de l’article 277 du code pénal qui dit, « est puni d’un emprisonnement de 10 à 20 ans, celui qui cause à autrui blessures et autres ».
Il s’agit aussi de la violation de l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui stipule que « toute personne a le droit d’exprimer ses opinions. La violence ne saurait se substituer au droit ».
Hugo Tatchuam (Jade)