Accouchements en détention. Les femmes séparées de leurs bébés dès la naissance

A la prison centrale de Douala, comme dans toutes les autres prisons du pays, le ministère de la justice exige désormais que les femmes enceintes, handicapées ou non, accouchent dans des hôpitaux publics, et que les nourrissons soient retirés à leurs mamans avant leur retour en prison, pour être confiés au ministère des affaires sociales. Cette décision fâche les pédiatres, qui rappellent que cela aura des graves conséquences sur la santé du bébé.

Prison centrale de Douala ce vendredi 10 septembre, 11h. Le régisseur Thierry Joël Pombouo Fopa nous reçoit dans son bureau. Une salle climatisée, bien rangée, où il fait bon vivre. Devant lui deux femmes. Gentiment il nous présente des sièges pour prendre place. 

A cause de nombreuses plaintes sur le traitement des femmes enceintes en détention, l’administration de la prison de Douala a pris, ces dernières années, de nombreuses dispositions pour éviter tout égarement. « Désormais, toutes les femmes enceintes détenues dans cette prison sont suivies par des médecins gynécologues de l’hôpital Laquintinie de Douala, qui est un hôpital public. Du début de leurs grossesses jusqu’à l’accouchement. Il y a beaucoup de femmes qui découvrent qu’elles sont enceintes étant déjà en prison. A l’hôpital, les soins médicaux sont payés par la prison, le ministère des affaires sociales, le ministère de la femme et de la famille, ainsi que la famille de la détenue. C’est pour cette raison que nous exigeons toujours la présence des membres de la famille », explique le régisseur. 

Selon lui, certaines femmes refusent de déclarer l’existence de leurs familles, espérant que l’administration les laissera libres avec leur enfant après l’accouchement. « C’est l’une des grosses difficultés que nous avons. Beaucoup de femmes disent qu’elles sont abandonnées par leurs familles dans l’espoir qu’on dira : ok vas-y avec le bébé, tu es libre.  Puisqu’elles savent que les nouveaux nés n’entrent pas en prison. Mais c’est peine perdue, nous avons adopté des mesures pour contrôler ce genre de situations », précise le régisseur. 

La règle : Pas de bébés en prison

« Regardez vous-même le quartier des femmes. Un nouveau-né peut vivre ici comment ? Avec tout ce monde, il n’y a pas d’espace. L’enfant va ramper où ? On va s’occuper de lui dans quel espace ici ? » S’interroge le régisseur en déambulant dans le quartier des femmes de la prison centrale de Douala.

C’est pour cette raison que le nouveau-né est retiré à sa mère juste après l’accouchement. « La détenue reste à l’hôpital en fonction des indications du médecin après l’accouchement. Et aussi en fonction de son état de santé. Elle reste à l’hôpital le temps nécessaire. Dès qu’elle est déclarée apte à sortir, le ministère des affaires sociales vient prendre l’enfant, et la maman retourne en prison toute seule », explique Thierry Joël Pombouo Fopa.

Les membres de la famille peuvent aller rendre visite à l’enfant, et suivre son développement. La maman, elle aussi, pourra de temps à autre aller voir son bébé. Elle ne reprendra son enfant qu’à sa sortie de prison. 

« Il y a eu de nombreux cas d’enlèvements d’enfants. L’Etat est devenu très rigoureux pour le suivi des enfants nés en détention. Tous les mouvements de ces enfants sont contrôlés avec beaucoup de rigueur. Les ministères des affaires sociales et de la femme et de la famille passent des coups de fils régulièrement », affirme le régisseur. Sur ces cinq dernières années, une dizaine de naissances ont été enregistrées.  

Les pédiatres pour des garderies en prison

Pour le Dr Paul Dende, médecin pédiatre, président de l’ordre des médecins pédiatres du Cameroun, c’est une « cruauté » de séparer le bébé de sa maman, « à la limite même, c’est un crime ».  « Pourquoi doit-on séparer une famille ? C’est à la maman d’élever son enfant. Sur le plan médical, le nouveau-né a besoin de sa mère jusqu’à l’âge de six mois au moins. C’est pourquoi, nous les pédiatres, nous obligeons les femmes à allaiter leur bébé jusqu’à l’âge de six mois au lait maternel uniquement. Les conséquences de cette mesure seront énormes sur la santé de l’enfant à long terme. Il y aura des maladies psychologiques, des déformations comportementales. bref cela va créer une pile de problèmes sur l’enfant », explique le docteur.

Selon lui, il aurait été plus judicieux de créer à l’intérieur de la prison un espace réservé uniquement à la mère et son enfant, afin de garder le lien maternel chez le nouveau-né. « Il est difficile de déterminer l’âge auquel un bébé doit être enlevé à sa mère. Comme ce lien entre la mère et l’enfant est très important, certains affirment que l’enfant doit pouvoir rester avec sa mère aussi longtemps que possible ».

Les avocats et ongs aussi

Même si le régisseur explique son acte par le fait que la prison est un environnement anormal qui aura des effets négatifs sur le comportement de l’enfant, les hommes de lois pensent plutôt que la norme demande que la mère et le bébé soient placés dans une unité à l’intérieur de la prison où ils peuvent vivre ensemble continuellement. « Cette unité doit être équipée des installations dont la mère aurait besoin en contexte normal. Il est préférable de laisser la mère et le bébé ensemble, au lieu de placer le nouveau-né dans une garderie que la mère ne pourrait visiter qu’à certains jours », affirment les avocats.

Les règles minima adoptées par les Nations Unies au sujet du traitement des détenus abordent le sujet dans le même sens. L’article 23 précise que « Dans les établissements pour femmes, il doit y avoir les installations spéciales nécessaires pour le traitement des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. Puisqu’il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, dotée d’un personnel qualifié, où les nourrissons seront placés durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leurs mères »

Une convention ratifiée par le Cameroun et dont les avocats demandent  l’application.

Hugo Tatchuam (Jade)

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