Plusieurs handicapés moteurs ont été blessés le 24 Janvier lors de la bousculade au stade Olembé qui a entraîné la mort de huit personnes et fait une cinquantaine de blessés. Les associations de personnes handicapées dénoncent « l’absence de mesures prises pour aider les personnes en situation de handicap à accéder aux stades, à avoir de bonnes places assises ainsi que leurs accompagnateurs, et à lutter contre toutes les autres discriminations » comme le demandent les lois internationales.
Joseph, handicapé moteur du quartier Mélen à Yaoundé, garde encore les blessures ouvertes après la bousculade mortelle du stade Olembé. « Ma chaise roulante a été cassée. Je me suis retrouvé au sol. Les valides m’ont piétiné. J’ai failli perdre la vie » affirme-t-il. Grand amoureux du football, il s’était rendu au stade pour suivre la rencontre qui opposait le Cameroun aux Comores. Un match qui s’est achevé avec la victoire des Lions indomptables du Cameroun.
Géremi Uche, qui se déplace avec des béquilles, a eu plus de chance. Assis à la tribune d’honneur, il affirme qu’il a observé le début de la bousculade et a préféré resté assis sur son siège, en attendant que cela passe. « La tribune est plus en haut. Ce qui m’a permis d’avoir une vue plus large sur ce qui se passait. J’ai constaté lorsque je voulais descendre les marches pour aller vers la sortie qu’il y avait des mouvements et des cris. Je me suis retenu. Je suis resté assis. Je crois que c’est ce qui m’a fait échapper au pire », indique-t-il.
Il déplore tout de même l’absence de dispositions de sécurité prises pour les personnes non valides, pour avoir accès à l’entrée et à la sortie du stade. « Seule la sortie principale du stade est très empruntée. Pourtant le stade a plusieurs issues. Pourquoi ne pas en avoir retenu une pour les personnes comme nous ? Avec la police pour assurer la sécurité ? », s’interroge-t-il.
Une irrégularité observée dans tous les autres stades
« Ce n’est pas seulement à Olembé. Dans les six autres stades de la compétition, le comité d’organisation n’a pas prévu de places pour les handicapés, ni pour leurs accompagnateurs et les bénévoles, comme le demande la loi », se plaint Raphaël, handicapé moteur.
Il s’est déplacé au stade pour suivre un match de la Cote d’Ivoire. Dans le stade de 50 000 places, étant tout seul, en chaise roulante, les spectateurs ont demandé qu’il parte s’installer à la tribune d’honneur, parce qu’il y a de l’espace entre les chaises, où il peut garer sa chaise roulante.
« Vous imaginez, je me retrouve au stade, la nouvelle construction a fait que les chaises sont fixées sur le béton. On ne peut pas les déplacer. Du coup, il n’y a pas de place pour ma chaise roulante. Quelques personnes de bonne volonté m’ont transporté à la tribune. Là-bas, j’ai poussé quelques sièges, et je me suis installé avec ma chaise roulante. Malheureusement, la visibilité était une catastrophe. Quand il y avait des actions chaudes, les valides se levaient pour crier et je ne voyais plus rien. Un véritable problème de placement », explique Raphaël. Dégoûté, il a décidé de ne plus aller au stade.
Quatre nouveaux stades de 50 000 et 60 000 places ont été construits pour cette compétition. L’Etat a aussi fait rénover plusieurs autres stades, certains pour les entraînements. Mais on constate que les normes internationales, prévues pour les handicapés ont été oubliées.
Des dérives qui ne sont pas passées inaperçues, car les journalistes de l’agence France presse (AFP) présents au Cameroun pour la Can les ont évoquées lors de la communication de la confédération africaine de football (Caf) le mardi 25 janvier, le lendemain du drame du stade Olembé. Les journalistes de l’Afp avaient constaté « que dans les tribunes, on n’a pas prévu de places pour les fauteuils roulants, ni pour les accompagnateurs et les bénévoles ». Des normes internationales qui s’appliquent selon eux, partout dans les grandes compétitions.
Les cartes d’invalidités refusées à l’entrée des stades
Adolphe, handicapé auditif basé à Limbe dans la région du Sud-Ouest, s’est rendu au stade Limbe Stadium pour suivre un match de la poule F qui opposait la Mali à la Mauritanie. Il a été surpris d’être refoulé. « Depuis 2010, toutes les personnes handicapées qui présentent la carte nationale d’invalidité à l’entrée du stade ont un accès gratuit. Je ne sais pas pourquoi on me chasse », s’est-il inquiété.
Adolphe n’est pas le seul. A Bafoussam, où est basée la poule B, les handicapés qui sont allés nombreux au stade pour acclamer la super star du Sénégal Sadio Mané ont tous été refoulés à l’entrée lorsqu’ils ont présenté leurs cartes nationales d’invalidité. Surpris, ils se sont retournés vers leurs associations et syndicats respectifs pour demander ce qui se passe.
«Au Cameroun, la loi nous autorise à entrer dans les stades gratuitement avec nos cartes d’invalidité. Pour cette compétition, l’Etat n’a rien dit depuis le début de la compétition. Puisque c’est l’Etat qui nous autorise à entrer gratuitement dans les stades, si nos cartes devaient être refusées, pourquoi n’a-t-il pas communiqué là-dessus ? Là encore c’est un échec du comité national d’organisation, le Cocan », explique Valentin Tchouanguep, président de l’association des déshérités et handicapés du Cameroun.
Conséquence de ces refus, tous les handicapés se sont sentis exclus de la compétition. A Bafoussam, les âmes de bonne volonté ont offert des tickets gratuits aux handicapés pour leur permettre d’aller suivre les matchs. Mais cette charité n’a pas été observée dans toutes les régions.
Le comité d’organisation se défend
Le vendredi 28 janvier à l’hôtel Sawa de Douala, le ministre des sports et de l’éducation physique, président du comité d’organisation de la Can, le Pr Narcisse Mouelle Kombi, a donné un point de presse. Il a fait une évaluation à mi-parcours de cette 33e édition de la coupe d’Afrique des Nations Total Energies Cameroun 2021. Dans sa communication de plus de deux heures, il a ignoré la question sur les personnes handicapées. « Nous avions des questions à poser sur la violation des droits des non valides, mais le ministre a refusé de prendre les questions des journalistes à la fin de ses propos. Une grosse désolation pour tous les journalistes », a expliqué un journaliste de l’Afp qui a requis l’anonymat.
Gabriel Loga, le chef de la cellule communication du ministre des sports et de l’éducation physique qui se bat depuis le début de la compétition pour sauver l’image du pays face aux nombreux couacs enregistrés, a affirmé que la pression enregistrée par le Cameroun à la veille de la Can n’a pas laissé le temps à l’Etat de régler tous les détails. « Le problème de l’accès au stade des couches vulnérables n’est pas oublié. Le ministre interdit désormais l’accès aux stades aux enfants âgés de moins de 11 ans. Il y a des enfants de 10 mois qui ont été piétinés au stade Olembé. Le ministre interdit désormais les tickets gratuits. C’est vrai ça aidait les personnes démunies et les handicapées. Mais c’est pour des soucis de sécurité. Même si les décisions sont dures contre les couches vulnérables et pauvres, c’est pour le souci de la réussite de la Can. Le chef de l’Etat de son côté a aussi mené une enquête interministérielle. Donc les décisions viennent de la présidence, on ne doit pas indexer le comité d’organisation », a-t-il souligné.
L’Etat a l’obligation d’aider les handicapés
L’article 18 du décret numéro 2110/002 du 13 Avril 2010 du premier ministre stipule que « l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, les organismes publics et privés prennent toutes mesures nécessaires pour faciliter aux personnes handicapées l’accessibilité aux bâtiments, stades, et institutions, publics et privés ouverts au public ».
L’alinéa 2 de ce décret rappelle qu’« au moment de leur rénovation, ou des transformations importantes, les bâtiments et installations existants, publics, doivent être réaménagés de façon à en faciliter l’accès et l’usage aux personnes handicapées ».
Hugo Tatchuam (Jade)