A Baleng, les femmes et les enfants de la communauté Mbororo font des kilomètres pour s’approvisionner en eau. Une eau même pas potable faute d’une politique publique de raccordement à un réseau.
11heures 30, ce mercredi 16 février 2022 sur les sommets de la colline dénommée Kongfong à Tchada II à Baleng, le soleil a presque atteint son zénith. Il frappe à haute intensité. Marchant sur une piste au bord de laquelle les herbes ont pris la couleur jaune, Alimatou, la cinquantaine, porte un grand seau d’eau sur la tête. « Je reviens de la rivière pour puiser de l’eau. Ce n’est pas potable. Nous n’avons pas un autre choix. C’est pénible. Mais pour faire la lessive ou la cuisine, on a besoin de l’eau. Même si elle n’est pas de bonne qualité, nous la buvons au risque de notre santé », explique-t-elle. Non loin de cette piste, des enfants portant des gourdes se dirigent vers un ruisseau pour y puiser de l’eau. «Nous n’avons pas école aujourd’hui. Nous allons aider les parents à avoir de l’eau », lance Alima , l’une des fillettes. Fatima, une jeune femme de cette communauté, sait combien l’accès à l’eau est crucial pour les membres de la communauté Mbororo de Tchada II à Baleng. « Avoir de l’eau ici, c’est difficile. Nous sommes abandonnés à nous mêmes. Les pouvoirs publics, notamment le maire de la commune de Bafoussam Iième, doit faire quelque chose pour nous», revendique-t-elle.
Plus d’enfants et moins d’eau potable
Le chef du village Tchada II, Ardo Inoussa , est découragé: «Nous vivons de multiples calvaires depuis 55 ans que nous nous sommes sédentarisés ici à Tchada II à Baleng. Nos besoins ne sont nullement pris en compte au niveau des décideurs. La population est grandissante, mais pas l’eau potable. Les femmes et les enfants souffrent pour aller très loin puiser de l’eau à ramener au campement. Parfois, cette eau devient rouge. Il faut attendre cinq à 10 minutes avant qu’elle se décante», explique-t-il. Les membres de la communauté Mbororo de Banekane ou de Bantoum à Bangangté sont aussi confrontés au problème d’accès à l’eau potable.
Lagou, nouveau chef de la communauté Mbororo du lieu-dit «Projet pont du Noun» à Bangangté fait de l’accès à l’eau potable l’une de ses priorités. « Ma famille a passé plus de 30 ans à Batoum. Nous avons grandi dans des conditions difficiles à cause de l’absence d’eau potable. Ici, les choses sont passables. Reste que malgré la présence d’un forage, certaines familles triment encore pour avoir de l’eau potable. J’ai essayé de creuser un puits à mon domicile, question d’avoir une autonomie en adduction d’eau, faute de moyens techniques adéquats, les personnes commises à la tâche ont été bloqués par des pierres à plus de 30 mètres du sol. Chez mes frères à Banekane et à Mbantoum, il faut parcourir plus de six kilomètres pour avoir accès à une eau de qualité», déplore-t-il.
Modeste Tchoumegni, responsable du génie rural à la délégation départementale du ministère de l’Agriculture et du développement rural, affirme qu’il revient aux mairies de s’occuper de la question d’adduction en eau potable dans les campements Mbororos. «Nous effectuons un travail de suivi et de contrôle avec nos collègues du ministère de l’Eau et de l’Energie. Il y a eu transfert des compétences et des moyens aux municipalités dans le cadre de la décentralisation», souligne-t-il. Au niveau du service de communication de la commune de Bangangté, on fait savoir que la question d’accès à l’eau potable est au centre de la politique du chef de l’exécutif communal.
Pour les communicateurs de cette commune, le maire Eric Niat a placé son magistère sous le sceau du social dont l’accès à la santé, à l’électricité, à l’éducation, à l’autonomisation économique des jeunes et des femmes, et à l’accès à l’eau potable. Et il le démontre si bien, expliquent-ils, à travers de nombreuses réalisations déjà faites comme ce forage entièrement réhabilité, sur les fonds propres de la Commune. Reste qu’aucun accent n’est mis sur le cas des minorités Mbororos qui vivent dans de nombreux village de cette municipalité : Banekane, Sanki, Bantoum…
Droit à l’eau potable : une protection Onusienne
Selon Lerher Amadou, responsable des projets à Mboscuda (Mbororos cultural association) et conseiller municipal à la commune de Bafoussam, il est capital que les pouvoirs publics se mobilisent pour faciliter l’accès à l’eau potable aux populations Mbororo. Il souligne que selon l’Organisation des nations unies, environ 884 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et salubre et plus de 2,6 milliards n’ont pas accès à des services d’assainissement dans le monde. En rappel, dans sa résolution, qui a obtenu 122 votes pour, 0 contre et 41 abstentions, l’Assemblée générale reconnaît « l’importance que revêt l’accès équitable à une eau potable salubre et propre et à des services d’assainissement, qui fait partie intégrante de la réalisation de tous les droits de l’homme ».
Le texte réaffirme aussi la responsabilité des Etats dans « la promotion et la protection de tous les droits humains qui sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés qui doivent être traités globalement, de manière juste et égale, sur un pied d’égalité et avec la même priorité ». Le droit à l’eau potable, tel que formulé par le Conseil économique et social, consiste en « un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ».
Ce droit est d’ailleurs relié à plusieurs droits enchâssés explicitement dans divers instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, dont les principaux sont le Pacte sur les droits économiques sociaux et culturels (PIDESC), le Pacte sur les droits civils et politiques (CCPR), la Convention sur les droits de l’enfant (CRC) et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Suivant Me Julio Koagne, avocat au barreau du Cameroun, l’analyse de ces textes ainsi que d’autres instruments internationaux démontrent sans ambiguïté l’existence du droit à l’eau potable en tant que droit humain.
Guy Modeste DZUDIE(JADE)