10% de détenus dans les prisons ont contracté des maladies mentales. La plupart à cause des conditions difficiles de détention, et de la longue durée en prison. Malheureusement, ces détenus n’ont pas la possibilité de se soigner à cause de la faiblesse du plateau technique médical du pénitencier. Ils n’ont pas les moyens financiers de rencontrer des médecins spécialisés. Les lourdes chaînes qui entravent leurs pieds ont fini par leur laisser des blessures inguérissables.
Franck A. est le détenu malade mental le plus célèbre de l’une des prisons du pays. Condamné depuis plus de 10 ans, il a commencé à développer des crises de folies après quelques années de détention. Les chaînes aux pieds en ce début du mois de février, il passe la journée à se balader un peu partout à l’intérieur de la prison. Dès le début de ses crises, le médecin de l’hôpital lui avait demandé de payer lui-même les frais de consultation pour qu’on l’amène voir un médecin spécialiste en santé mentale. Une consultation qui coûte 15 000fcfa. Franck n’ayant pas cet argent, il a dû se contenter des seuls médicaments que lui prescrit l’infirmerie de la prison. Comme lui, une dizaine d’autres malades sont devenus fous dans des prisons. Comme Franck, ils sont délaissés sans une véritable assistance pouvant améliorer leur santé mentale.
Les détenus malades mentaux sont aussi recensés dans d’autres prisons centrales et prisons secondaires du pays. Ils sont plus nombreux dans les prisons en ruine de l’arrière-pays négligées par l’État.
Le détenu doit payer son traitement
Roger a demandé à aller voir un médecin spécialiste hors de la prison pour son problème de genoux causé par les chaînes qu’il porte aux pieds. « Le médecin de la prison m’a dit que je dois payer 4700 fcfa pour aller rencontrer un traumatologue pour évaluer la fracture. Ayant payé cela. Le traumatologue m’a dit qu’il me faut faire une IRM, qui me coûte en moyenne 125 000 fcfa. S’il y a un problème, il faut payer 450 000fcfa pour une intervention chirurgicale. Ne pouvant pas payer, de retour en prison, j’ai demandé au médecin chef des lieux ce que la prison peut faire pour les malades. Il m’a répondu de façon sèche : Monsieur, battez-vous pour payer votre traitement », explique le détenu.
Conditions de vie inhumaines
Dans les prisons secondaires de Ngambé, Mantoum et autres, et même dans certaines prisons centrales comme Douala et autres, les détenus malades mentaux expliquent leur situation par les conditions inhumaines de vie. « Au bout de 12 ans passés ici, j’ai commencé à rentrer dans une sorte de délire paranoïaque. Je voulais éclater tout le monde et tout le temps », explique l’un des détenus. Ici, il dort sur une planche non couverte, car il faut se battre pour trouver un morceau de matelas ou de natte pour mettre dessus .
D’autres détenus condamnés initialement à la prison principale d’Edéa se sont battus pour être extradés à la prison secondaire de Ngambé dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de détention. Hélas, ils ont découvert des cellules au toit fissuré, sans lit, ni lumière suffisante. Une situation qui a rendu malade une bonne partie des 150 détenus.
Roger Thomas (nom d’emprunt) qui a perdu la mémoire avec le temps est obligé de supporter l’humidité de sa cellule. « Les tôles du toit sont toutes vieilles et trouées. Quand il pleut, l’eau rentre dans la cellule. Nous profitons du peu de soleil qui passe par la petite fenêtre pour chasser la moisissure qui s’attaque à nos vêtements », raconte un autre détenu, qui ne supporte pas la promiscuité, sans doute à l’origine de sa maladie mentale.
Les maladies qui attaquent le cerveau
Le médecin chef de l’une des prisons qui a souhaité garder l’anonymat explique que dans les prisons, il existe plusieurs maladies qui attaquent le cerveau. « Nous avons des troubles thymiques, des troubles anxieux comme la dépression, ou des troubles psychotiques qui touchent beaucoup plus les personnes enfermées dans des cellules minuscules ».
Les neuropsychiatres vont dans le même sens. « Les troubles d’humeur et de l’anxiété chez les détenus sont déclenchés par l’incarcération de l’individu dans des mauvaises conditions. Ce n’est pas pour rien qu’on conseille d’avoir des aires de jeux et des salles de sports dans les prisons. Tandis que les troubles psychotiques et de la personnalité sont aggravés par l’absence de suivi d’un médecin spécialisé. Oui, la prison rend fou, et aggrave les situations déjà sensibles », explique un médecin.
Un code trop vieux
Fredy Medio ancien régisseur de prison, ayant dirigé la prison centrale de Kondengui à Yaoundé présentée comme la plus dangereuse du pays, ancien délégué régional de l’administration pénitentiaire de la région de l’Ouest, et actuellement inspecteur général au ministère de la justice, a un point de vue tranché sur la question.
Pour lui, le code qui régit l’administration pénitentiaire est vieux de plus de 40 ans. Il avait été élaboré, à l’époque, à la va vite pour étouffer une grève du personnel de l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, avec les nouvelles réalités rencontrées dans les prisons, il faut renforcer beaucoup d’aspects.
« Pour le volet santé par exemple, les soins administrés aux détenus ne se font pas totalement gratuitement. Le prisonnier doit payer les frais de la consultation, ou tout autre chose. Ce qui fait qu’un détenu qui est délaissé par sa famille et qui ne reçoit pas de visites ne peut pas se soigner. Le volet santé doit être amélioré », explique-t-il.
Textes non respectés
Une négligence qui viole le préambule de la constitution stipulant que la dignité de toute personne y compris un détenu doit être respectée en toute circonstance. L’article 22 des règles minima de traitement des détenus va dans le même sens, en rappelant que « Chaque établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services d’un médecin qualifié, qui devrait avoir des connaissances en psychiatrie. Les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation. Ils doivent comprendre un service psychiatrique pour le diagnostic et, s’il y a lieu, le traitement des cas d’anomalie mentale ». Ce qui est très loin d’être appliqué dans les prisons camerounaises.
Hugo Tatchuam (Jade)