Radios communautaires, Les déplacés anglophones exclus des programmes

Des milliers de déplacés ayant fui les conflits armés dans les régions anglophones, accusent les radios communautaires installées dans leur zone d’habitation, d’émettre des programmes uniquement en langue locale, et de ne pas traduire les émissions en une langue qu’ils peuvent comprendre. Pourtant la radio doit promouvoir les différents modes d’expressions culturelles spécifiques à l’auditoire. Une violation grave du droit à l’information.

Ashu Ebord  et Nonchon Elise font partis des 4000 déplacés des régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest installés dans les petits villages de l’arrondissement de Koutaba dans le département du Noun dans la région de l’Ouest. En cette matinée du lundi premier Mars, ils se livrent comme d’habitude à leurs activités agricoles.

Ashu Ebord a développé la culture de tomates sur une superficie de un hectare. Un terrain que la mairie de Kouaba lui a octroyé à son arrivée dans le village il y a six ans, lorsqu’il avait quitté le Sud-Ouest après l’attaque de son domicile familial par des hommes armés. A l’aide de l’engrais offert par la mairie, il cultive de la tomate et du gombo qu’il va vendre dans le village Foumbot, où les grands commerçants viennent s’approvisionner pour aller revendre dans les grandes villes.

Nonchon Elise quant à elle  fait la vente de bois qui sert à la cuisson des aliments dans les cuisines traditionnelles. Elle écoule aussi sa marchandise à Foumbot où les clients payent bien. Elle a fui les conflits armés à Balikumbat dans la région du Nord-Ouest pour se réfugier à Koutaba. Au fil des années, elle a fait la rencontre d’un éleveur qui l’a épousée comme deuxième femme. Ils ont deux enfants aujourd’hui.

Ashu et Enonchon ont réussi à s’intégrer socialement. Ils ne sont plus considérés comme des étrangers. Mais au niveau de l’accès à l’information il y a problème. Ils ont du mal à être informés lorsqu’ils écoutent la « radio de la plaine » et la « radio communautaire du Noun », les deux radios communautaires les plus écoutées dans le département. Les émissions sont présentées uniquement en langues bamoun et haoussa, les langues locales les plus parlées par les 49 000 habitants de l’arrondissement.

«Nous n’avons pas la possibilité de participer aux débats sur la radio pour donner nos points de vue parce qu’on ne parle pas nos langues. La radio communautaire nous aide à avoir les informations sur les variations des prix « bord-champs ». Cela nous permet de savoir à quel moment aller écouler nos marchandises dans le village  Foumbot. Ce sont des informations de proximité. La radio nationale, la Cameroon Radio and Télévision « crtv radio » qui émet en direct du chef-lieu de la région de l’Ouest, dans la ville de Bafoussam à plus de 400 kilomètres d’ici ne peut pas nous communiquer ces informations », explique Ashu.

Ashu Ebord  et Nonchon Elise ne comprennent pas les langues bamoun et haoussa. Ils s’expriment en « Piding », en anglais et en « fon », leur langue maternelle.  Ils sont à chaque fois obligés de demander à un bienfaiteur de traduire en anglais ou en « Piding », les émissions produites en langue bamoun.

Cette situation donne l’impression que les déplacés anglophones sont exclus de cette société. Ils ont d’ailleurs saisi le maire de Koutaba dans une correspondance où ils ont demandé que les radios puissent aussi prendre en considération leur culture.

Situation similaire à Malentouen et à Magba

Le village Malengoure dans le groupement de Magba Tikar dans le département du Noun est aussi une zone très peuplée par les déplacés. Ils sont estimés à plus de 5 000. Ils ont pour la plupart élus domicile sur les bords du barrage-réservoir de la Mapé, un barrage de retenu d’eau situé à 11 km de Magba sur la rivière Mapé, destiné à réguler le niveau du fleuve Sanaga  afin d’augmenter la production en hydroélectricité.

A la différence de Koutaba, les déplacés ici sont partis de leurs villages dans le Nord-Ouest à pied avec leurs familles à travers une piste non bitumé de 20 km qui sépare des villages du Nord-Ouest de la ville de Magba.  Dans une lettre qu’ils ont fait parvenir au maire de la commune de Magba (son nom?), ils demandent eux aussi que les radios communautaires qu’ils écoutent,  produisent des émissions en « Piding », ou en anglais pour leur permettre d’être informés sur l’actualité.

« Le signal de la télévision nationale est très faible ici. Il n’y a même pas de réseau téléphonique. Il y a uniquement les radios communautaires qui émettent et qui sont bien écoutées. Avec notre forte intégration, et notre contribution pour le développement local à travers nos activités, nous sommes déjà des personnes intégrantes de la société. Nous avons aussi besoin que les radios produisent les émissions en tenant compte de nos cultures. Car la radio doit être guidée par les besoins de la communauté », explique Moustapha, un pêcheur rencontré à Magba. 

Les maires réceptifs

Dieudonné Mbouem le maire de la commune de Magba qui a lancé la radio communautaire de « la plaine Tikar », avec un financement de l’Unesco a accueilli les doléances des déplacés, et promet de trouver une solution.

« C’est normal que ces familles demandent à être informées et de participer aux émissions. Je vais prendre un exemple. Il y a des équipes de vaccination des enfants contre la poliomyélite qui passent dans les villages. Et c’est à travers notre radio que nous rassemblons les familles. La dernière fois plusieurs déplacés n’ont pas fait vacciner leurs enfants parce qu’ils ne comprennent pas ce qui est dit à la radio.  La radio fait les programmes en langue Bamoun et en Tikar. Nous devons intégrer les langues de ces déplacés dans les mois à venir », précise le maire.

A Koutaba, la réaction est la même. Koutaptou Ibrahim le maire, demande aux déplacés de garder leur calme. « Nous avons transmis leurs doléances aux radios. Cela prendra un peu de temps. Mais on finira par avoir des programmes en langue pour ces déplacés », a conclu le maire.

A la préfecture de Foumban, une source qui a gardée l’anonymat affirme qu’une lettre a été transmise au ministère de la communication pour demander que dans chaque zone où on retrouve une forte communauté des déplacés internes, les radios communautaires pensent à eux, en faisant des programmes dans leurs langues, pour promouvoir aussi leurs cultures,  pour éviter qu’ils se sentent exclus de la société et pour respecter leurs droits à l’information. 

Un avis partagé par Ibrahim Moussa, délégué départemental de la communication pour le Noun. « La radio communautaire se caractérise par la participation active de la communauté dans les processus de créations nouvelles, de l’information, du divertissement et de la culture, mettant l’accent sur les questions et les préoccupations locales. Il est donc normal que les déplacés se plaignent. Car il s’agit de la proximité. Et l’Etat a l’’obligation de satisfaire à leurs demandes », mentionne le délégué.

Les conventions internationales ratifiées par le pays vont dans le même sens, en interdisant l’exclusion des déplacés.  C’est le cas de l’article un des principes directeurs de l’Onu sur les déplacés internes qui rappelle que « Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays jouissent, sur un pied d’égalité, en vertu du droit international et du droit interne, des mêmes droits et libertés que le reste de la population du pays. Elles ne doivent faire l’objet, dans l’exercice des différents droits et libertés, d’aucune discrimination fondée sur leur situation en tant que personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ». Par ailleurs, l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples rappelle que « tout le monde a droit à l’information ».

Hugo Tatchuam (Jade)

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