Mariée à 16 ans, prostituée à 18

Ngaoundéré. Après un mariage forcé, son mari l’a répudiée après 18 mois de mariage

La journée internationale de la femme comme celle qui vient de se dérouler le 08 mars dernier, devrait aller au-delà des activités festives ou encore au-delà des revendications d’égalité. Dans la partie septentrionale du Cameroun, le phénomène des mariages précoces et forcés continue d’être d’actualité.

Le cas de la jeune dame peulh Maimouna (nom d’emprunt), devrait attirer de plus en plus l’attention des parents des conjoints et même des pouvoirs publics. « Pour avoir échoué à deux reprises au BEPC, mon papa a estimé que je perdais mon temps à l’école et il a décidé de m’envoyer en mariage. Nous étions en 2018 et je n’avais que 16 ans. Après à peine 18 mois de mariage à Garoua, le monsieur a décidé de se séparer de moi », confie Maimouna. Commence alors une nouvelle vie.

« J’avais deux options ; la première était de retourner chez mes parents à l’Extrême-Nord, et la seconde, celle de commencer à me chercher. Je me suis posée la question de savoir ce que je peux bien faire au village avec ce problème de Boko Haram qui n’était pas totalement maitrisé. En plus, il faut savoir que chez nous, le mariage est un peu comme un fonds de commerce ; une fois mariée, toi la fille tu dois apporter un soutien financier à la famille. Après un divorce, retourner au village est vu comme un échec pour la famille. C’est ainsi que j’ai décidé de venir me chercher à Ngaoundéré qui est non seulement loin de ma famille, mais aussi de Garoua mon lieu de mariage », relate Maimouna.

La tradition plutôt que la loi

Pourtant, le code civil dans son article 144 précise que, « le mariage ne peut être contracté avant 18 ans révolus ». Aussi, l’article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que, « nul mariage ne peut être conclu sans libre et plein consentement des futurs époux ». Le problème dans la partie septentrionale du Cameroun c’est que, le mariage traditionnel n’est couché sur aucun document juridique, et, c’est ce qui rend le divorce très facile. « Chez l’homme peulh ou musulman, c’est le mariage traditionnel qui compte le plus. Vous allez constater que, ce sont les fonctionnaires ou ceux qui travaillent où l’on exige l’acte de mariage pour avoir un certain avantage qui se marient à l’état civil. Pour le mariage traditionnel, le divorce est très simple. Il suffit que l’homme dise verbalement à sa femme Mi séri Ma (je divorce de toi) trois fois, cela fait office de divorce. Ou encore l’homme écrit ces mots sur un bout de papier et le remet à sa femme pour transmission au père de la fille. Dès que le parent prend connaissance de ces mots, le divorce est consommé », relate Hamadou un fidèle musulman.

Le mariage précoce et forcé est plus un problème culturel. Déjà, les mariages où les divorces sont prononcés juste quelques mois après, sont généralement des mariages qui ont lieu quelques semaines avant le début du jeûne de ramadan. « Ici le problème est plus culturel. Elles sont nombreuses ces femmes peulhs qui sont victimes des abus et violences dans leurs ménages, mais qui ne viennent pas signaler leur cas ici chez nous. Seules quelques rares qui sont émancipées parviennent vers nous pour soulever leurs problèmes. D’ici quelques jours vous allez assister à une vague de mariages à quelques semaines du début du ramadan. Et quelques mois après, ça sera le divorce parce que non seulement l’homme voulait un partenaire pendant cette période, ou alors parce que la fille en question n’était pas encore mature pour supporter un mariage », fait savoir Joël Dewa, délégué régional de la promotion de la femme et de la famille de l’Adamaoua.

Une fille sur cinq mère avant 15 ans

Aussi, tout à côté de ces filles parties précocement en mariage, il y a également le cas des filles mères qui sont rejetées par leurs familles. « Chez l’homme peulh, la fille n’a pas le droit d’avoir un enfant avant le mariage. Je suis tombée enceinte étant dans la maison familiale. J’avais deux choix à faire, soit enlever cette grossesse, soit partir de la maison familiale. J’ai décidé de partir de la maison familiale pour la rue. Dès que j’ai eu un peu de capital, je suis sortie de cette vie pour me lancer dans la fabrication et la vente des beignets pour nourrir mon enfant. Il y a plusieurs femmes qui se retrouvent dans ce cas comme moi ici dans la ville », confesse sous anonymat une autre femme peulh. Aussi, la situation de ces femmes n’est pas sans conséquences. Elles mènent une vie de débauche (drogue, tabac alcool etc..).

Certaines d’entre elles sont parfois victimes de viols qui les exposent aux infections sexuellement transmissibles et au VIH/Sida. Celles qui accouchent entre 12 et 16 ans connaissent le plus souvent des maladies particulières comme les fistules obstétricales. « Comme son nom l’indique, la fistule obstétricale c’est une fistule liée à la grossesse et à l’accouchement. Nous pouvons donc la définir comme une voie de communication entre le vagin et les voies urinaires c’est-à-dire la vessie, l’urètre ; ou encore entre le vagin et le rectum, ou les deux à la fois. Cette voie de communication est généralement provoquée par un accouchement difficile, et survient dans la plupart des cas lors du premier accouchement des sujets jeunes généralement de petite taille, et, surtout les jeunes filles qui ont connu un mariage précoce.

Cela concerne dans la plus grande partie, les jeunes mamans âgées de 12 à 16 ans. Car les organes génitaux immatures sont soumis à la pression mécanique du travail lors de l’accouchement », explique Dr Pierre Laoussou, directeur de l’hôpital norvégien de Ngaoundéré. Selon une enquête menée en 2020 par le Fonds des Nations Unies, 43% des filles peulhs et mbororos sont mariées avant d’atteindre la majorité, et que, 11% de ces filles sont mariées avant l’âge de 15 ans. La même enquête indique qu’une adolescente sur 5 est mère avant l’âge de 15 ans.

Interview

Mauriane Tiomela, présidente de l’association « Le sourire ».

« Nous encadrons des filles mères à qui nous apprenons des petits métiers »

Depuis combien de temps votre association existe et combien de filles mères encadrez-vous ?

Notre association existe depuis 2010 et est basée ici à Ngaoundéré. Notre association dénommée « Le sourire » a entre autres objectifs, l’autonomisation des femmes et la défense des droits des groupes vulnérables. Nous encadrons des filles mères à qui nous apprenons des petits métiers. Actuellement nous encadrons 12 personnes.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Notre première difficulté est d’ordre financier. Les activités de formation menées par l’association « Le sourire » ont toujours été entièrement autofinancées faute d’accompagnement et de partenaires. Cela limite nos capacités de formation bien que la demande soit forte. De plus, après la formation, pour ces femmes très souvent démunies, il faudrait un fonds de démarrage de leurs activités productives, mais nous n’avons pas les moyens pour le faire. Toutes ces choses réduisent nos efforts sur le terrain. Nous aurions bien voulu avoir les moyens des (PTF) afin d’installer chacune de ces femmes.

Bénéficiez-vous des appuis des ministères des affaires sociales ou alors de la promotion de la femme et de la famille ?

Je ne parlerais pas d’appui, mais nous collaborons à chaque fois que cela est nécessaire dans la mobilisation des femmes et l’implémentation de certaines activités sur le terrain comme les ateliers et conférences à leur profit.

A l’occasion de la semaine de la femme qui s’est achevée le 08 mars dernier, qu’est-ce que vous avez fait de particulier pour accompagner ces filles mères que vous encadrez ?

Dans le cadre de la semaine de la femme qui vient de s’achever, nous avons surtout mis l’accent sur la femme et l’entreprenariat. Nous le faisons lors des formations, mais l’occasion était idoine pour réitérer le message selon lequel les femmes représentent 52% de la population qu’il faut capitaliser dans nos politiques de développement. Si nous parvenons à autonomiser ces femmes pour qu’elles parviennent à subvenir à leurs besoins, cela participe à leur mieux être dans la société. Ainsi l’impact sur le développement sera perceptible. Dans la même veine, être entrepreneur n’est pas aisé, devenir autonome non plus surtout dans les conditions de ces femmes nécessiteuses. Ce que nous leur donnons ce sont des armes de base à savoir, le savoir-faire, mais il faudra qu’elles puisent dans leur ingéniosité, leurs ressources intérieures pour mettre cela en pratique. Nous serons là pour les accompagner en cas de besoin.   

Par Francis Eboa (Jade)

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