Haine tribale à Memve’ele. Une cinquantaine de pêcheurs originaires du Noun contraints à fuir

Ces déplacés internes ont rejoint leurs villages Massen, Makpa, Njitapon et Bangourain. Au niveau local, l’administration préfectorale est loin des préoccupations de ces sinistrés qui ont besoin de logements, de nourriture, et autres nécessités.

Souley Nsangou, chef de la cinquantaine des pêcheurs de Men’velé( village où a été construit récemment un barrage hydroélectrique dans la région du Sud Cameroun) originaires du département du Noun, a rejoint son village natal, Massen près de Bangourain, il y a quelques jours. Arrivé à Foumban par bus dans  l’après-midi du mercredi 09 Mars 2022, cet homme d’une quarantaine d’années a regagné, comme les autres personnes pourchassées de Men’velé (dans la région du Sud Cameroun), son village d’origine. Lui et ses « frères » ont été sommés par des villageois se présentant comme des autochtones de Men’velé et armés de gourdins et de machettes, de regagner leurs villages dans les plus brefs délais, sinon « ils vont voir ».Sous-entendu : « ils seront battus à mort».

Représailles après la mort d’un autochtone

Des menaces qui viennent après la découverte du corps sans vie d’un Ntumu dans les eaux du barrage de Men’velé, l’après-midi du dimanche 06 mars 2022. Normalement en pareille situation, une enquête est ouverte pour établir les circonstances du décès. Et les causes peuvent être infinies. Sans attendre, ne serait ce que l’ouverture d’une enquête devant déterminer les circonstances de cette mort, les autochtones, Mbulu, Ntunu et Fan, ont pointé un doigt accusateur sur la communauté Bamoun, constituée de pêcheurs. Des menaces de représailles mortelles fusent de toutes parts.

Les membres de cette communauté vont se regrouper chez leur chef de Communauté. Ce dernier et son adjoint ont le courage de se rendre à la chefferie du Village où les autochtones sont regroupés autour de la dépouille. Comme dans un scénario macabre, des groupes d’hommes en furie vont décider de passer à l’action. D’abord au bord du lac, ces derniers vont vandaliser et détruire leurs pirogues et quelques maisons aux alentours, tout en promettant de massacrer tous les Bamouns qu’ils retrouveraient encore à Men’velé après l’inhumation du défunt. C’est ainsi que de nombreuses familles vont se retrouver dans la rue, marchant parfois sur de longues distances pour trouver un moyen de transport qui puissent les conduire dans une zone de sécurité.

Selon ce pêcheur, les gendarmes comme les autorités administratives sollicitées (chef de Canto, sous-préfet de Ambam, préfet de La Vallée du Ntem, gouverneur de la région du Sud), sont arrivés et se sont montrés complaisants envers les agresseurs. « Le cortège du gouverneur de la région du Sud, nous a traversé en route quand nous marchions à pied pour chercher comment sauver nos têtes, mais aucun acte de soutien ou de compassion n’a été posé », déclare-t-il. Pour l’instant, aucune des personnes ayant menacé les pêcheurs originaires du Noun n’ont été interpellés ni inquiétés. Officiellement, souligne le 1er adjoint au maire de Foumban , Tapon Mama, qui suit de près cette situation, aucune enquête n’a été ouverte.

Première prise en charge à Foumban

Pour l’accueil à Foumban des déplacés conduits par Souley Nsangou, Hermine Patricia Tomaino Ndam Njoya, maire de la commune,  a  installé un dispositif de première prise en charge. L’exécutif municipal s’est mobilisé au complet. Reste que  le climat est lourd. La tristesse, la fatigue et la douleur se lisent toujours sur les visages. Les enfants ne semblent pas encore réaliser ce qui arrive. La prise en charge a été urgente : de l’eau et un repas leur ont été servis. Les déplacés internes ont été installés dans la salle des Actes de la commune de Foumban pour un échange avec l’exécutif communal. C’est alors qu’ils ont pris la parole pour relater la terreur qu’ils ont vécu depuis trois jours, comment ils ont dû, en pleine nuit, tout quitter pour sauver leur vie. Selon Patricia Ndam Njoya, un bon nombre de ces personnes n’ont pas de logement pour les accueillir et des problèmes d’alimentation. Il est difficile à d’autres membres de cette communauté Bamoun de rejoindre les villages du département du Noun dont ils sont originaires. Il s’agit notamment de Massen, Njitapon, Bangourain et Magba.

Dans cette situation, le rôle des autorités administratives et chefs traditionnels locaux sont à interroger, dans le maintien de la paix, de la cohésion sociale, la sécurité des biens et des personnes. «  Personne n’est venue se plaindre ici à la préfecture du Foumban. Officiellement,  nous ne sommes au courant de rien », réagit Aboubakar Mouhamed, 3e adjoint préfectoral du département du Noun. A la question de savoir pourquoi les autorités administratives camerounaises sont laxistes en matière de protection des droits humains ou de la sécurité des biens et des personnes étiquetées « allogènes », le fonctionnaire du ministère de l’Administration territoriale (Minat) estime que « chaque responsable du commandement territorial au Cameroun  travaille de bonne foi en fonction de la loi et des contingences de l’environnement ».

Carences de l’État camerounais

On se rappelle que c’est une énième chasse à l’homme organisée par les communautés du Sud Cameroun, Ntumu, Bulu et Fan contre les populations de la région de l’Ouest en général et les Bamouns en particulier. Après Kye-Ossi, Ambam et Sangmelima, c’est le tour de Men’velé de ne pas respecter le devoir d’accueil et de vivre ensemble. L’Etat du Cameroun, souligne-t-on, à travers le ministre de l’administration territoriale, n’a rien fait pour faire respecter le droit à la citoyenneté des membres de la communauté Bamoun de Men’vele. Ce qui, selon Charlie Tchikanda, president de la ligue des droits et des libertés, constitue une violation des articles  03 et 09 de la convention de Kampala sur la protection et l’assistance aux déplacés internes. « La ligue des droits et des libertés condamnent fermement ces actes barbares qui contribuent à la violation de la Constitution et n’honore pas le Cameroun, supposé être un Etat de droit », soutient ce militant. Par ailleurs, la  combinaison des deux dispositions impose la prise  de mesures pour assurer la protection des personnes et des biens en cas de déplacement interne. Ces textes recommandent notamment la prise des dispositions d’ordre humanitaire en faveur des déplacés internes : logement décent, nutrition, accès à l’eau potable et soins de santé…

Les principes directeurs de l’Organisation des nations unies (Onu) relatifs au déplacement des personnes à l’intérieur de leur propre pays  sont plus explicites sur la question. Le Principe 5 signale l’importance du respect du droit international pour la prévention du déplacement. Le droit de ne pas être déplacé arbitrairement est consacré dans le principe 6 qui énumère certaines situations qui constitueront un déplacement arbitraire comme c’est le cas des politiques d’apartheid, des conflits armés, de projets de développement, de catastrophes ou des châtiments collectifs, ce droit a une relation directe avec le droit de circuler librement consacré dans l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, PIDCP(…)Les Principes directeurs réitèrent les droits de l’homme reconnus par les textes internationaux et dans sa section III (principes 10-23) se réfèrent à la protection au cours du déplacement: droit à la vie (principe 10), droit à la dignité et l’intégrité physique, mentale et morale (principe ll) en relation avec la prohibition de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et sécurité (principe 12), droit à la libre circulation au cours du déplacement (Principe 14), droit au respect de sa vie familiale (principe 17), droit à ses possessions (principe 21); droit à l’emploi et à participer aux activités économiques (principe 22); droit aux services sociaux d’éducation (principe 23); droit aux soins médicaux et à l’attention sanitaire (principe 19, par. 1).

Malheureusement, comme le martèle Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés, « il faut du chemin…afin que certains Camerounais fondent leurs démarches sur des valeurs républicaines et non tribales. »

Guy Modeste DZUDIE(JADE), à Foumban

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