Toujours incarcéré à la prison centrale de Douala, le déplacé anglophone Gédéon Ashu, détenu depuis 2018 et condamné à 2 ans de prison aurait dû être relâché depuis deux ans et huit mois. Un dossier en appel établi par le tribunal viole la loi qui dit que « quand la peine initialement prononcée est arrivée à terme, malgré l’appel, on doit être libéré ».
Mardi 2 Août 2022. Me Richard Tamfu, avocat au barreau du Cameroun, se rend à la prison centrale de Douala pour assister ses clients. Ce jour, il a inclus dans son agenda la rencontre d’un déplacé anglophone qui a purgé la totalité de sa peine, mais est toujours détenu depuis deux ans et huit mois sans aucune raison valable.
« J’ai été informé par une alerte sur les réseaux sociaux. Le détenu lui-même a écrit pour se plaindre. Il a filmé les reçus de paiement de ses amendes et autres, et a mis tout ça sur internet. Puisque j’ai rendez-vous avec mes clients ce matin, je vais en profiter pour le rencontrer, discuter avec lui, pour voir si tout ceci est vrai », affirme Me Tamfu à bord de son véhicule, bloqué dans les embouteillages à quelques mètres de la prison centrale de Douala.
A l’entrée de l’établissement, les gardiens procèdent aux mesures habituelles de sécurité, nous fouillent, saisissent nos téléphones portables et nos cartes nationales d’identité. Puis nous conduisent dans un couloir obscur au bout duquel est située une petite salle étroite, avec des bancs disposés pour servir de cadre de rencontres entre les avocats et leurs clients.
Me Tamfu demande à rencontrer le détenu Gédéon Ashu, le déplacé anglophone dont il a lu le message d’alerte sur internet. Les gardiens de prison font appel à l’un des nombreux détenus postés à l’entrée de cette salle, qui offrent leurs services pour faire le « taxi » à l’intérieur de la prison. L’avocat écrit le nom du détenu qu’il souhaite rencontrer sur un morceau de papier, et le « taxi » se charge d’aller le chercher à l’intérieur de la prison pour le ramener dans cette salle.
Vingt minutes après, Gédéon Ashu se présente à nous. C’est un jeune homme de 28 ans, robuste, avec des tatouages et des noms inscrits un peu partout sur le corps. L’avocat Me Tamfu se présente : « Je suis Me Richard Tamfu, avocat au barreau du Cameroun, j’ai vu ton alerte sur les réseaux sociaux. Je suis venu m’assurer que tout ce que tu as dit est vrai. Je vais t’aider gratuitement. N’aie pas peur » , précise l’avocat.
Le détenu, d’un sursaut de joie, demande qu’on lui donne une minute, le temps qu’il retourne dans sa cellule chercher tous les dossiers des décisions rendues au tribunal pour son affaire.
Lorsqu’il revient, il remet à l’avocat une vieille chemise rose, toute sale et mouillée, contenant les décisions du tribunal. Lorsque l’avocat prend connaissance des dossiers, il s’exclame d’une voix tellement forte que le gardien de prison chargé d’assurer la sécurité de la salle lui demande de baisser le ton.
Selon les documents, le détenu Gédéon Ashu a été arrêté en 2018 dans la ville de Souza, au niveau de « Penda Mboko », situé dans le département du Moungo dans la région du Littoral. Ashu, en 2018 avait fui les conflits armés dans la région anglophone du Sud-Ouest où il est né et a grandi avec ses parents. Ses parents ont trouvé refuge à Souza, une zone agricole pour pratiquer l’agriculture.
Un soir, sorti en ballade, non loin du domicile familial, Gédéon est interpellé par une patrouille de gendarmerie qui passe par là. On lui demande de se présenter. Il présente sa carte nationale d’identité. Ayant constaté qu’il est un déplacé anglophone, les gendarmes vont conserver sa carte et lui demander de monter dans leur véhicule. Gédéon est conduit à la brigade de gendarmerie de Souza.
« Dès que je suis arrivé, les gendarmes m’ont jeté dans une cellule où il y avait plusieurs autres personnes que je ne connaissais pas. Nous avons passé la nuit là-bas. Le lendemain, les gendarmes nous ont transféré à Douala, où ils nous ont présenté devant le juge au tribunal militaire de Douala. C’est devant le juge que j’apprends que je suis poursuivi pour « activité terroriste et détention illégale d’armes à feu ». Et que je suis complice avec toutes les autres personnes que j’ai rencontrées dans la cellule. J’ai tenté d’expliquer au juge que je ne connais pas ces personnes, mais le juge nous a envoyé en détention provisoire à la prison centrale de Douala le 16 Août 2018», explique Gédéon Ashu.
Il va rester en prison jusqu’au 27 décembre 2021, jour où le tribunal va rendre la décision finale. Il est condamné à deux ans de prison, et 370 635fcfa d’amende. Il va payer la totalité de cette amende. Un reçu lui est délivré, qui se trouve d’ailleurs dans son dossier.
Interdiction de visite
Depuis 2018, Gédéon est totalement coupé de sa famille qui se trouve à Souza, et les autres dans le Sud-Ouest. « Les gardiens de prison ont dit aux membres de ma famille que je suis un sécessionniste. Et que celui qui se présente sera arrêté et présenté comme mon complice, puisque toute ma famille est anglophone. Prise de peur, ma famille a bloqué mon numéro. Personne n’est joignable. Depuis 2018, je suis abandonné à moi-même ici à la prison de Douala. Je n’ai pas de visite. C’est très difficile moralement ».
« Ayant constaté que je suis dans cet état de faiblesse, un greffier du tribunal militaire de Douala, dont je préfère taire le nom, m’a demandé à plusieurs reprises de lui donner 25 000 fcfa pour qu’il me délivre le document pour sortir de prison. Je l’ai fait. J’ai envoyé à chaque fois, la somme de 30 000 fcfa à un gardien de prison pour qu’il lui remette les 25 000, et prenne 5000 fcfa comme frais de transport. Malgré tous ces paiements, je suis toujours en prison », clame le détenu.
En février 2022, il a rédigé une lettre au commissaire du gouvernement du tribunal militaire pour demander une audience privée. Le commissaire du gouvernement a accepté de le recevoir. « Face à lui, j’ai dit que j’ai déjà purgé ma peine de prison depuis deux ans, et je ne sais pas pourquoi je suis encore là. Il m’a répondu que, lui-même, il ne sait pas pourquoi. Et qu’il ne peut rien faire pour moi », explique Gédéon.
Le commissaire du gouvernement fait appel
Après avoir reçu le détenu en février 2022, le 21 Mars 2022, ce même commissaire du gouvernement va interjeter appel dans une note signée par le lieutenant Laurent Ondoa Onana greffier en chef du tribunal militaire de Douala. La note mentionne que « le commissaire du gouvernement a interjeté appel contre le jugement 286/21 rendu le 27 décembre 2021 par le tribunal militaire ». Mais ne donne aucune motivation à cette décision. Une note qui selon le président du tribunal militaire de Douala, le colonel Mem Michel, rencontré ce vendredi 5 Août, constitue la raison pour laquelle le détenu se trouve toujours en prison.
Un document qui viole la loi
Pour Me Richard Tamfu, « selon le code de procédure pénal, l’article 440 alinéa 1 indique que le délai pour interjeter appel est de 10 jours pour toutes les parties y compris le ministère public à compter du lendemain de la date du jugement contradictoire ». Or, le détenu a été condamné le 27 décembre 2021, et le commissaire du gouvernement a interjeté appel le 21 mars 2022, soit trois mois après.
Pour l’avocat, si le fait d’avoir interjeté appel est la seule raison pour garder le détenu en prison, il doit être libéré.
Le procureur Bia Bakari, président du tribunal de première instance de Mbouda dans le département de Bamboutos dans la région de l’Ouest est aussi de cet avis. « Il faut mettre la pression sur le commissaire du gouvernement. Il va contrôler et demander au régisseur de libérer le détenu. Car quand la peine initialement prononcée est arrivée à terme, malgré l’appel, on sort. Sauf si avant la fin de la peine, la cour a statué et l’a de nouveau condamné. Mais ce n’est pas le cas ici. Ce détenu doit être libéré », affirme le président de tribunal.
Le maintien de Gédéon Ashu en prison est une dérive qui constitue une violation grave des traités internationaux ratifiés par le Cameroun. L’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques indique pourtant que « nul ne doit faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi ».
Hugo Tatchuam (Jade)