Radio Taboo, l’unique radio communautaire qui couvre la zone de Ngambe Tikar habitée par les pygmées et les Mbororos n’a jusqu’à ce jour reçu aucune subvention du gouvernement malgré de nombreuses demandes. Une violation de la déclaration de l’Onu sur les droits des peuples autochtones qui oblige pourtant l’Etat à « encourager les médias privés à refléter de manière adéquate la diversité culturelle autochtone ».
Ce lundi 29 Août, Oumarou Mendjok, jeune reporter à radio Taboo, effectue une descente dans un campement pygmée situé à 7 km du village Nditam, situé dans le département du Mbam et Kim dans la région du centre. Il vient rencontrer les pygmées pour faire un reportage sur la campagne de vaccination gratuite contre le choléra lancée il y a deux semaines par le ministère de la santé publique.
« Ici dans ce campement, je constate que les agents de vaccination contre le choléra ne sont pas arrivés. Les pygmées ne sont pas vaccinés. Ils ne sont même pas au courant qu’une campagne comme celle-là existe. Pourtant les équipes mobiles de vaccination font des descentes dans les domiciles partout dans d’autres régions. Ceci n’est pas normal », s’inquiète le reporter.
Oumarou indique que cette marginalisation n’est pas nouvelle. Ils n’ont jamais été saisis officiellement pour une campagne de santé lancée par le ministère de la santé publique. Le ministère refuse de travailler avec radio Taboo, qui est pourtant la première et unique radio privée communautaire qui émet dans une zone pygmée et diffuse des informations pour les pygmées et les Mbororos.
« Le ministère de la santé publique ne nous saisit jamais pour faire la publicité sur les campagnes de vaccination comme celle lancée en ce moment pour le choléra. Pour le covid 19 c’était pareil. Le ministère ne nous a pas donné la publicité pour informer sur cette maladie. Pourtant radio Taboo est la seule radio animée par les pygmées en leurs langues locales, une aubaine pour l’Etat pour passer la bonne information. Ce n’est pas seulement pour la santé, mais aussi pour l’agriculture, l’environnement, la forêt et la faune, les ministères refusent de travailler avec nous. Ils pouvaient utiliser notre radio pour passer des communiqués et annonces pour ces peuples autochtones. Mais ils ne le font pas. Et en retour ces publicités pouvaient aussi nous permettre d’avoir un peu d’argent dans les caisses. C’est très difficile pour nous », poursuit Oumarou.
Les problèmes d’argent justement se posent. Issa Nyaphaga le promoteur de cette radio affirme qu’en ce moment il est à la recherche de 5 millions de fcfa pour financer les descentes des reporters sur le terrain, payer aussi un formateur en journalisme rural pour la mise à niveau de son personnel.
Nous avons justement rencontré ce lundi Anita, une femme pygmée de 42 ans dans ses champs. Ce matin elle est sortie très tôt, comme d’habitude, pour aller labourer sa plantation et faire quelques récoltes. Un travail qu’elle effectue jusqu’à 15h. Et à 17h, elle va à la radio animer une tranche d’antenne en langue locale, pour les femmes pygmées. Anita parfois manque d’argent de transport pour quitter le campement pygmée et rejoindre Nditam où est située la radio.
« Entre 17h et 20h, je présente une émission interactive, avec les auditeurs qui appellent. Ce sont surtout les femmes pygmées. Pas toutes les femmes pygmées, parce que malheureusement la plupart n’ont pas de téléphones portables. Ici les pygmées vivent encore vraiment dans la forêt. Je reçois quelques coups de fils des auditrices qui parlent de leurs problèmes rencontrés pendant la journée et nous leur donnons des conseils. Quand je n’ai pas d’argent, je ne viens pas à la radio», explique Anita, qui travaille sans aucune base professionnelle.
Aucun employé de radio Taboo n’a reçu une formation professionnelle. Tous ont été recrutés dans le village en 2017 par le personnel de l’Unesco lors du lancement de la radio. Ils ont juste eu une petit mise à niveau.
«Je suis allé au ministère de la communication et à la radio et télévision nationale. J’ai monté un dossier avec le journaliste culturel Bengono Bengono pour demander qu’on envoie des spécialistes faire des formations à nos employés. Mais jusqu’ à aujourd’hui, cela n’a pas été fait. Le ministère ne nous a même pas répondu », affirme Issa Nyaphaga.
Pas d’énergie électrique
Radio Taboo fonctionne uniquement à base d’énergie solaire. Lors de l’installation de cette radio, l’Unesco avait offert un matériel professionnel, qui a du mal à fonctionner avec le faible niveau de l’énergie solaire disponible. Conséquence, la radio émet seulement pendant 4 ou 5 heures par jour et s’arrête, le temps de recharger le matériel de diffusion en énergie solaire.
« Nous avons un très bon émetteur et un matériel de diffusion de pointe. S’il y avait la lumière à Nditam, cela nous permettrait de fonctionner 24h sur 24. Cette radio peut aussi couvrir d’autres départements plus éloignés dans la région de l’Adamaoua. Malheureusement, l’énergie solaire très faible ne permet pas à l’émetteur de donner toute sa puissance et d’aller le plus loin possible. Autre chose, depuis 2017 que nous avons installé le matériel, il faut faire des révisions. Il y a les piles contenues dans l’émetteur qui présentent déjà des signes de faiblesse, il faut les changer. Le câbles tendus pour soutenir l’émetteur au niveau du sol présentent aussi des signes de relâchement, il faut les changer. Autant de problèmes. Nous avons écrit au ministère des postes et télécommunication pour demander un partenariat conformément à la déclaration de l’Onu sur les droits des peuples autochtones qui oblige l’Etat à soutenir une radio qui soutient la diversité culturelle autochtone comme la nôtre. Mais nous n’avons jamais eu de réponse », regrette Issa Nyaphaga.
Un appui important à l’éducation
Stanislas Guebama est le Directeur CES de Nditam. Pour préparer la rentrée scolaire 20022-2023, il anime une tranche d’antenne chaque matin pour sensibiliser les pygmées à envoyer leurs enfants à l’école. Ce lundi matin, il a présenté le taux d’admissibilité de ses élèves au brevet d’étude du premier cycle ( BEPC).
« Nous avons obtenu un taux de réussite de 90%. C’est une grande satisfaction pour nous, car c’est sur les antennes de cette radio que nous avons fait des cours de préparation avec les élèves. Le ministère des enseignements secondaires et le ministère de l’éducation de base doivent prendre conscience de l’importance de cet outil de communication et y apporter leur soutien », indique le directeur.
Depuis son affectation au CES de Nditam, il travaille de façon bénévole à la radio. Diplômé de l’école normale supérieur de Yaoundé, il en profite pour encourager et orienter les enfants pygmées qui accèdent au secondaire.
Revendication des ongs
L’ong Forêt et développement rural (FODER) qui lutte depuis de nombreuses années pour la sauvegarde des forêts et de l’écosystème s’appuie sur radio Taboo depuis de nombreuses années pour faire passer ses messages aux pygmées pour la préservation de leur écosystème. L’un de ses responsables qui a préféré garder l’anonymat ne comprend pas le mépris des autorités vis-à-vis de cette radio.
« Comme son nom l’indique, radio Taboo a été créé pour aborder des sujets tabous. En matière de forêt, les violations sont énormes ceci est une belle occasion pour l’Etat de parler directement aux autochtones. Mais hélas… »
Au ministère de la communication, Denis Omgba, le directeur chargé de l’observatoire des médias que nous avons rencontré, n’admet pas que l’Etat refuse toute subvention à cette unique radio qui soutient les couches autochtones. Il dit que les dossiers sont en traitement. « Nous avons reçu leurs dossiers depuis des années, nous les avons transmis au ministère des postes et télécommunications, et nous attendons la suite », a-t-il précisé.
L’alinea2 de l’article 16 de la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones précise pourtant que « les Etats prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent dûment la diversité culturelle autochtone. Les Etats, sans préjudice de l’obligation d’assurer pleinement la liberté d’expression, encouragent les médias privés à refléter de manière adéquate la diversité culturelle autochtone ».
Hugo Tatchuam (Jade)