A Bafoussam, avec l’appui des forces de l’ordre, des agents d’impôts multiplient les motifs pour percevoir des sommes indues auprès des commerçants. Le chef de centre régional des impôts relativise ce comportement en indexant la complicité de certains contribuables.
A Bafoussam, avec l’appui des forces de l’ordre, des agents d’impôts multiplient les motifs pour percevoir des sommes indues auprès des commerçants. Le chef de centre régional des impôts relativise ce comportement en indexant la complicité de certains contribuables.
Edwige vient d’ouvrir une boutique au quartier Kamkop à Bafoussam. Elle n’a pas encore exercé deux mois qu’elle reçoit un contrôle d’une équipe mixte des agents de la sous-préfecture et du centre divisionnaire des impôts de Bafoussam II, qui ont scellé son commerce pour défaut de carte de contribuable et de licence de commercialisation des boissons.
Pour avoir ces papiers, elle a dépensé 100 000 F Cfa pour diverses formalités, la plupart sans quittance ni reçu. Presque trois fois plus que les 36 000 F Cfa d’impôt libératoire qui lui a été délivré, le reste des dépenses étant sans trace. « Deux agents des impôts sont arrivés ici et m’ont d’abord demandé 10 000 F pour les frais de localisation. Je me suis opposée justifiant que cela était illégal. C’est alors qu’ils ont menacé de ne pas prendre ma déclaration en compte au point où je me suis exécutée », se plaint-elle.
Boris T., un autre commerçant voisin d’Edwige, a subi la même épreuve. Il laisse éclater sa colère : « C’est une escroquerie organisée. Ils nous font payer des sommes indues pour être maintenus au régime de l’impôt libératoire. Et ils sont toujours avec des gendarmes qui les appuient lorsqu’ils vous scellent illégalement et menacent de vous embarquer pour résistance à fonctionnaire. C’est le règne de l’arnaque et de l’oppression fiscale». Ignorant ce que prévoit la loi sur la fiscalité locale, les commerçants n’ont pas d’autres choix que de se plier aux injonctions des contrôleurs.
Moyens limités
A Bafoussam, les commerçants multiplient des récriminations à l’encontre des agents des centres divisionnaires des impôts de la région. Ils ont récapitulé et adressé aux autorités administratives et à la hiérarchie de l’administration fiscale de l’Ouest les circonstances où les paiements indus sont exigés aux contribuables : localisation d’un comptoir, (frais de déplacement exigés), classement du contribuable dans le régime de la patente (impôts plus élevés) ou dans celui de l’impôt libératoire (faible imposition), le choix de la catégorie d’imposition (qui détermine également les impôts dus), etc.
« Vous devez payer à l’agent d’impôts entre 20 000 et 35 000 Fcfa, sans trace bien entendu, pour qu’il vous maintienne dans la catégorie d’imposition que vous avez déclarée; sinon, vous êtes reclassé dans une catégorie supérieure ou à la patente automatiquement sans autre forme de procès”, se plaint un commerçant du marché « A » de Bafoussam, sous anonymat.
Les agents des impôts justifient leur attitude par les moyens limités que la hiérarchie met à leur disposition. « Nous n’avons pas les moyens de déplacement. C’est pour cela que nous exigeons aux contribuables de supporter nos frais de transport lorsque nous venons localiser leurs boutiques ou leurs entreprises», justifie sous anonymat un agent du centre divisionnaire des impôts de Bafoussam II. Sauf que les montants exigés sont de loin supérieurs aux coûts de déplacement dans la même ville.
Le oui, mais… de l’administration fiscale
« C’est vrai, il existe des travers », reconnaît Amadou Mohaman, chef du centre régional des impôts de l’Ouest, qui tente une explication : « Au Cameroun, le régime fiscal est déclaratif. La loi définit les catégories et les fourchettes. Il peut avoir des erreurs ou des abus. Comme dans tous les corps de métier, il existe des brebis galeuses ». Et d’ajouter : « Il est vrai que nous ne disposons pas de véhicule de service pour permettre aux agents d’aller sur le terrain pour localiser les entreprises, ce qui fait que certains abusent des contribuables en sollicitant indûment les frais de localisation ». A l’en croire, des dispositions sont entrain d’être prises pour mettre fin à cette pratique, notamment l’acquisition de deux motos qui permettront aux agents en mission de localisation de faire leur travail sans nuire aux contribuables.
Le chef du centre régional des impôts de l’Ouest accuse aussi les commerçants de tricherie et de corruption de ses agents lors du renouvellement de leurs cartes de contribuable ou du règlement de leurs impôts et taxes. Ainsi, à la suite d’un contrôle effectué par ses services en mars 2014 au marché « A » de Bafoussam, 250 fraudeurs avaient été repérés sur les 2000 contribuables déclarés au régime de l’impôt libératoire, et reclassés au régime de la patente.
« Des instructions ont été données aux différents chefs de centre dans tous les départements de la région de l’Ouest, afin que les agents reconnus coupables d’abus à l’égard des contribuables soient punis conformément aux textes en vigueur. Nous ne sommes pas ici pour réprimer les opérateurs économiques. Ce qui nous choque c’est qu’il y a des gens qui font des affaires en trichant », soutient-il. « De gros importateurs sollicitent dans leur déclaration être soumis au régime de l’impôt libératoire alors que leurs chiffres d’affaires s’évaluent à plusieurs dizaines de millions. Ils stockent leurs produits dans de grands magasins dans des domiciles privés et n’exposent que quelques-uns dans leur boutique », fait-il remarquer.
Le document de Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption publié en septembre 2010 relève que « les agents du fisc ponctionnent annuellement l’équivalent d’au moins 5 % du chiffre d’affaires des entreprises, soit environ 100 milliards de Francs Cfa ». Une vraie catastrophe.
Guy Modeste DZUDIE (JADE)
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