(Jade Cameroun-Syfia Centrafrique) Souvent dénoncée comme un frein aux échanges, la corruption routière n’en continue pas moins d’entraver la circulation des biens et des personnes. Reportage sur l’axe Douala-Bangui où policiers, militaires et douaniers rançonnent sans complexes les voyageurs, d’autant plus quand ils sont étrangers.
La section camerounaise de Transparency international a présenté, le 8 mai dernier à Douala, les résultats d’une enquête réalisée en 2006 auprès des ménages sur leur perception de la corruption au Cameroun. Il en ressort que la police, la gendarmerie et la douane figurent dans le peloton de tête des services publics jugés les plus corrompus du pays. La corruption sur les routes en est une parfaite illustration. Un exemple parmi d’autres, il y a quelques semaines, à bord d’un bus reliant Douala à Bangui, en Centrafrique.
Jusqu’à Yaoundé, tout va bien pour la quarantaine de passagers. Mais, dès le barrage de Belengé, à une vingtaine de kilomètres seulement au-delà, les ennuis commencent. Sur les conseils du receveur du bus, trois commerçantes centrafricaines, venues au Cameroun acheter tissus, chaussures et autres, tirent de leurs pagnes des billets de banque qu’elles tendent à l’homme en tenue qui tourne autour du véhicule. Visiblement satisfait, ce dernier agite la main en signe d’au revoir. Les voyageurs ne sont qu’au début de leur peine sur ce trajet de près de 1 500 km.
« Le racket quasi systématique des étrangers »
La scène se répète ensuite, à l’identique ou presque, à chaque poste de contrôle, où les passagers centrafricains sont sommés de verser au moins 5 000 Fcfa (7,6 Euros), chacun, cinq fois plus que les Camerounais. Cette tendance à rançonner particulièrement les étrangers avait été critiquée, il y a déjà quatre ans, par le patron de la police camerounaise de l’époque, Pierre Minlo Medjo : « Il est signalé, çà et là, des cas de racket quasi systématique des étrangers et de corruption pratiquée à grande échelle par des fonctionnaires véreux qui en ont fait une source intarissable d’enrichissement personnel. »
Des heures plus tard, à Garoua Boulaï, ville frontière entre le Cameroun et la RCA, à environ 700 km de Douala, c’est au tour de la douane de justifier sa douteuse réputation. L’air sévère derrière ses lunettes sombres, une agent pointe du doigt les marchandises rangées sur le toit du car : « À qui sont ces cartons ? » Une Centrafricaine répond en lui tendant des quittances douanières où sont minutieusement glissés quelques billets. « 6 000 Fcfa (environ 9 Euros) pour trois personnes ! C’est très insuffisant ! Il faut 30 000 Fcfa (plus de 45 Euros), sinon, on va vous ramener à Yaoundé ! », grogne la douanière. Les commerçantes s’exécutent.
Arrivé du côté centrafricain, le montant à payer à chaque barrage tombe à 500 Fcfa (0,76 Euros) en moyenne par personne pour les nationaux. C’est en revanche aux Camerounais de débourser 10 à 20 fois plus pour poursuivre leur route. Le chauffeur camerounais du bus s’insurge : « Les militaires centrafricains exigent maintenant 5 000 Fcfa. Si tu contestes, ils doublent ou triplent le montant, parce que, selon eux, les Camerounais sont riches.«
À Bossembélé (près de 150 km avant Bangui), après avoir chevauché, dans un nuage de poussière, les nombreux dos-d’âne de cette route en latérite, le bus s’arrête devant des éléments des Forces armées centrafricaines (Faca) en faction. La nuit est à présent tombée. Les hiboux hululent. Un caporal s’approche et s’empare des pièces d’identité. Le chauffeur glisse un billet entre ses papiers qu’il remet à un autre homme en treillis. Assis, un gradé a retourné son képi bleu à même le sol. Chaque passager doit y déposer 500 Fcfa, s’il veut récupérer ses papiers. Et ainsi de suite jusqu’à Bangui. A la fin du périple, des centaines de milliers de CFA auront ainsi changé de poche.
Un obstacle à l’intégration régionale
On est ici bien loin de l’intégration régionale et des textes fondateurs de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) dont la Centrafrique et le Cameroun sont membres – qui préconisent « la lutte contre les entraves à la libre circulation des biens et des personnes membres de la communauté« … Dans une étude récente, le chercheur congolais Etienne Koulakoumouna affirme ainsi que « la corruption, qui a pris de l’ampleur dans la sous-région avec la montée de la pauvreté, est une contrainte majeure à l’intégration régionale ». Selon lui, le grand banditisme et la corruption « annihilent les efforts des opérateurs du secteur du transport routier et compromettent les possibilités d’investissement public et privé« .
En 2004, le gouvernement centrafricain avait pourtant publié un arrêté interministériel selon lequel « l’exécution des missions aux barrières ne doit pas donner lieu à une quelconque exaction ou contrepartie des opérations effectuées« . Le ministre des Transports de l’époque, Charles Massi, avait aussitôt conduit une mission de démantèlement. « Toutes ces barrières ont été rétablies aussitôt après le passage des autorités« , regrette Aimé Pascal Ngoumbango Nzabé, directeur au ministère du Développement rural. « Souvent, sur le terrain, nos soldats sont confrontés à des difficultés qui les obligent à passer outre les consignes données« , tente de justifier sous anonymat un capitaine de l’armée.
Sous la pression des bailleurs de fonds, le Cameroun, régulièrement cité parmi les pays les plus corrompus de la planète, a lui commencé, depuis l’an dernier, à sanctionner ses fonctionnaires malhonnêtes. Un cadre des douanes a ainsi été suspendu de ses fonctions. Dans la police, trois commissaires ont été révoqués. Trois officiers, cinq inspecteurs et deux gardiens de paix ont par ailleurs été suspendus pour trois mois.
Gabriel Ngoulaka et Étienne Tassé