(Syfia Tchad) Occupée par les rebelles fin novembre, puis reprise 24 heures plus tard par l’armée régulière, Abéché, à 700 km à l’est de la capitale tchadienne, tente de retrouver un semblant de normalité. Ceux qui restent vivent cependant toujours la peur au ventre. Reportage.
Un jeu du chat et de la souris qui n’en finit pas. Dans l’est du Tchad, depuis fin octobre et, avec encore plus d’intensité, depuis une quinzaine de jours, les rebelles de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) ne cessent d’harceler les forces gouvernementales puis de se replier. Une stratégie encore à l’œuvre à Biltine, à 150 km de la frontière soudanaise où de violents combats se sont déroulés les 7 et 9 décembre derniers. L’armée régulière a lancé sa contre-offensive à partir d’Abéché, à une centaine de kilomètres de là.
Dans cette ville brièvement occupée par les rebelles le 25 novembre, avant d’être reprise 24 heures plus tard par l’armée, les habitants vivent la peur au ventre. À la gare routière, valises et baluchons en main, ils sont nombreux à se bousculer pour quitter les lieux. Accompagné de ses amis et de ses voisins, Nestor, un employé du HCR (Haut commissariat pour les réfugiés) attend d’embarquer avec femme et enfants pour N’Djamena. « On ne peut pas travailler dans l’insécurité. Nos patrons nous ont demandé de partir », explique-t-il. Il vient de payer 50 000 Fcfa (76 Euros) pour deux tickets de bus. En temps de paix, il aurait déboursé presque moitié moins. Mais peu importe aujourd’hui le prix à payer. Quand le convoi s’ébranle en direction de la capitale, le regret se lit sur les visages des voyageurs qui saluent de la main ceux qui attendent d’être embarqués à leur tour ou qui resteront sur place.
A Djenené-fog à la sortie sud de la ville, par où sont entrés les rebelles dans la nuit du 25 novembre, les traces des combats sont encore visibles. Un char endommagé stationne tel un monument. Les habitants continuent à revivre tous les détails des hostilités. Selon Hano, un militaire à la retraite, les combats ont commencé à 3 heures du matin à Al-biteha, à environ 40 km du centre d’Abéché, puis se sont rapprochés progressivement. « On entendait les véhicules filer à tombeau ouvert. Les forces gouvernementales étaient en débandade. À travers le mur de ma concession, j’ai vu entrer les rebelles avec leur Toyota recouverte de boue« , raconte-t-il.
Traces indélébiles
Mariée à un gendarme et mère de six enfants, Rachel a quitté avec sa famille le camp de fonction qui faisait office de domicile familial pour se réfugier chez des connaissances au quartier Kabartou dès le début des affrontements. Ils ne sont retournés chez eux que plus d’une semaine plus tard. « Les détonations nous ont ôté le sommeil au petit matin, confie-t-elle. Les bébés pleuraient, les adultes tremblaient et couraient dans tous les sens. Les militaires filaient vers la route de N’Djamena. Sans le refus de mon époux, je serais moi aussi partie avec mes enfants pour la capitale », conclut-elle.
Aujourd’hui, des gendarmes montent la garde devant des édifices administratifs qui pour la plupart ne sont plus que des coquilles vides. La mairie, tout comme le palais de Justice, a été incendiée. « Des prisonniers évadés ont brûlé le palais de Justice pour faire disparaître les dossiers de leurs condamnations », regrette un employé de mairie. En face, le bâtiment du Trésor a échappé au feu, mais pas au pillage. Seul le coffre-fort est resté intact.
Sur la même avenue, spectacle identique dans les locaux qui abritent le gouvernorat. Des débris de meubles, papiers, bouteilles, assiettes, morceaux de verres jonchent le sol. « Ici ce n’est rien, allez voir la villa privée du chef de l’État, même les fenêtres ont été ôtées », témoigne Brahim, un conducteur de moto.
Durant la prise de la ville, des entrepôts du HCR et du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été pillés et plusieurs tonnes de nourriture et de matériel ont été dérobées. La ville devrait prochainement regrouper les humanitaires et fonctionner avec des équipes mobiles qui continueront à assister dans la région les quelque 200 000 réfugiés soudanais originaires du Darfour voisin et les 90 000 Tchadiens déplacés.
Difficile d’oublier la guerre
À Abéché, peuplée de soldats et d’agents de renseignements, difficile d’oublier la guerre. Tout le monde se croit sous surveillance. Et la peur d’un éventuel retour des rebelles hante les populations.
Par endroits, la vie tente cependant de reprendre ses droits. Au quartier Taradona, une calebasse de bilibili (bière locale) entre les mains, militaires et civils commentent les derniers événements. Au marché, les ânes et les dromadaires, principaux moyens de transport, attendent à nouveau leurs maîtres ou des acheteurs. Non loin de là, des commerçantes venues des villages voisins exposent à nouveau céréales, huiles et lait caillé sur leurs étals.
« Le marché n’a pas été pillé grâce aux rebelles qui ont dissuadé les voleurs en tirant en l’air », témoigne ce commerçant. Dans les allées, cireurs et mendiants se bousculent comme auparavant. L’endroit semble avoir retrouvé son effervescence habituelle. Pour combien de temps ?
Moumine Ngarmbassa