Cameroun : Les corbillards, nouveaux taxis urbains

(Jade Cameroun/Syfia ) « Rouler à tombeau ouvert » n’est pas seulement une expression à Douala, la capitale économique du Cameroun. Pénurie et débrouillardise obligent, les corbillards sont en passe de devenir sur certains itinéraires des moyens de transport presque comme les autres. Reportage.

Il est 18 heures quand je quitte mon travail pour rejoindre l’arrêt des bus de la Socatur, une société privée de transport urbain. Je me place dans la file d’une quarantaine de personnes qui attendent de prendre un bus desservant Village, un quartier populaire à la périphérie de Douala. Trente minutes plus tard, la queue compte déjà près d’une centaine de voyageurs. Une heure passe : toujours aucun bus ni même de clando, un de ces minibus clandestins qui viennent de temps à autre charger des passagers. Les usagers s’impatientent, prêts à emprunter n’importe quel autre moyen de transport pour rentrer chez eux.


Soudain, un fourgon noir aux vitres fumées, portant les initiales des « Pompes funèbres » s’arrête. Nous voici face à un de ces corbillards qui font parfois office de taxis aux heures de pointe. Quelques curieux s’approchent du véhicule. Les plus pressés se bousculent déjà pour occuper les six places assises aménagées. L’espace restant, qui accueille habituellement le cercueil, ne trouve pas (encore) preneur. Peu importe ! Le chauffeur démarre en trombe, sûr de faire le plein au prochain arrêt… Deux cents mètres plus loin, il embarque trois autres clients qui s’installent comme ils peuvent sur les deux parties surélevées des roues arrière. Nous sommes désormais sept à bord en plus du conducteur.


Quelques mètres et le véhicule s’immobilise encore, cette fois dans une station service pour acheter du carburant. À l’intérieur, certains clients commencent à trouver le temps long… « Cet homme se croit où ? Sait-il à quel point nous sommes mal assis ici ? », se révolte un passager. Une dame, venue faire des achats dans cette station, s’indigne : « C’est un corbillard ou un taxi ? Vraiment, les gens ne respectent plus rien ! »


 


Vingt dans un corbillard


Imperturbable, le chauffeur reprend sa route. Non sans solliciter l’indulgence de ses passagers pour un autre arrêt, au lieu dit Ancien Dalip, où sont massés des milliers de passagers potentiels. Il n’a pas fini de se garer que la foule se rue sur le fourgon. Seuls ceux capables de jouer des coudes réussiront à monter. Ils voyageront accroupis ou assis sur le plancher. Nous voici à présent une vingtaine. Les moins chanceux devront attendre un camion, voire un pick-up, ou emprunter des taxis dont les prix, à ces heures de la journée, auront déjà doublé.


Ce n’est pas de gaieté de cœur que les gens voyagent en corbillard. L’offre en moyens de transport est, en effet, très inférieure à la demande sur cet itinéraire terriblement encombré aux heures de pointe. On n’y compte pas plus d’une dizaine de bus régulièrement en panne et une vingtaine de clandos dans lesquels le confort est la chose la moins partagée… Il y a trois ans, ont été retirés de la circulation plusieurs cars et bus qui assuraient le transport sur ces axes, mais ne répondaient pas aux normes de sécurité. Rares sont les propriétaires qui ont réaménagé leur véhicule pour accorder un minimum de confort et de sécurité aux voyageurs et pouvoir circuler de nouveau.


Cette pénurie fait donc le bonheur de quelques conducteurs de corbillard qui se livrent à l’insu de leur patron à cette activité secondaire lucrative. Chaque passager doit débourser ici 200 Fcfa (0,30 Euros), autant que ce qu’on leur réclame dans les bus et les clandos. « Mes collègues et moi ne faisons qu’aider les gens qui, comme nous, vont travailler en ville le matin et qui à la fin de la journée doivent retrouver leur domicile », se défend notre chauffeur.


À bord, l’ambiance est étrangement gaie. Les clients plaisantent, se taquinent. Sans doute pour oublier que les places qu’ils occupent sont normalement celles du cercueil et de ses funèbres accompagnateurs. « Tant pis pour ceux qui ont peur de voyager en corbillard. Moi, je ne crains rien », lance un occupant.


Au passage, le fourgon est respectueusement salué par des policiers en faction, d’ordinaire plus tatillons avec les chauffeurs de taxi… « Je considère le corbillard comme un moyen de locomotion comme un autre. Avec lui au moins, on est sûr d’arriver tôt à son domicile ! », conclut un passager curieusement revigoré par son dernier voyage…


 


Charles Nforgang


 


 

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