Cameroun : L’hôpital se fout de la charité !

(Jade Cameroun/Syfia) Payez et vous serez, peut-être, soignés ! Urgence ou pas, dans les hôpitaux du Cameroun, les malades ne sont admis et soignés qu’après avoir acquitté par avance les soins. Il est loin le temps de la gratuité !

Couché à même le sol dans une salle du service des urgences de l’Hôpital central de Yaoundé, Mathieu Tsafack, 30 ans, a perdu la parole. Il bave et transpire. Depuis plus de 30 mn qu’on l’a amené en catastrophe à la suite d’un évanouissement, il n’a pas reçu le moindre soin. Las d’attendre, l’un de ses parents appelle un infirmier qui réplique instantanément : « Allez d’abord payer à la caisse ! » Il y a quelques mois, une femme de 28 ans sur le point d’accoucher s’est vu réclamer à l’Hôpital général de Douala une somme de 200 000 Fcfa (305 Euros) avant toute intervention du personnel soignant. Un pied du bébé pointait déjà dehors… Le temps que son époux aille chercher la somme demandée, elle est restée sur une civière durant une vingtaine de minutes sans assistance.


Chaque jour, de nombreux Camerounais vivent des situations comme celles-ci dans les centres de santé du pays privés comme publics. Dans les cliniques privées, le dépôt d’une caution est obligatoire pour les soins coûteux depuis les années 80 et le début de la crise économique. Cette mesure a peu à peu gagné les centres de santé publics avec la réforme hospitalière entamée il y a 5 ans. En raison des réductions des dépenses publiques dans le cadre des programmes avec le Fonds monétaire international, les hôpitaux sont désormais appelés à faire payer les soins afin de couvrir une partie de leurs charges. « Il y a eu une baisse de plus de 50 % des allocations de l’État aux hôpitaux publics. C’est pourquoi nous parlons désormais de recouvrement des coûts« , commente M. Ngamini, chirurgien, surveillant général du Centre médicalisé d’arrondissement de Bonamoussadi à Douala. « Nous attendions 170 millions de Fcfa (environ 260 000 Euros) au titre des frais d’entretien, mais nous n’avons reçu que 140 millions« , confirme le Dr Fritz Ntone Ntone, directeur de l’Hôpital Laquintinie de Douala.


 


Fin de la gratuité


Les recettes sont réparties entre le Trésor public (30 %) et l’établissement hospitalier concerné (70 %). Les fonds qui reviennent à l’hôpital servent à assurer la maintenance des locaux et des équipements, à payer la prime de rendement aux agents de santé et à rémunérer le personnel recruté par l’établissement. Depuis plus de 15 ans, l’État ne recrute plus ; des générations entières d’infirmiers sont allées à la retraite sans être remplacées. Ce qui a créé un manque de personnel estimé à 12 000 infirmiers d’après le ministère de la Santé. Les directeurs d’hôpitaux publics comblent ce déficit en recrutant en intérim des infirmiers au chômage, payés sur les recettes propres de l’établissement.


Du coup, les soins de santé primaires autrefois gratuits dans les établissements publics sont aussi devenus payants : 500 Fcfa (un peu moins d’un Euro) pour une simple piqûre, environ 1 000 Fcfa le pansement ou le vaccin BCG, etc. Les prix des soins et des médicaments grimpent de jour en jour. Pour le traitement du paludisme, comptez aujourd’hui en moyenne 10 000 Fcfa (environ 15 Euros), soit au moins le double du prix d’il y a quelques années. À l’Hôpital général de Douala, le prix d’un simple accouchement va de 80 000 à 100 000 Fcfa (122 à 152 Euros). Tout cela payable d’avance. Sur les murs de cet hôpital public, on peut d’ailleurs lire sur des affichettes : « Les moratoires sont interdits ».


Même les centres de santé confessionnels jadis réputés pour leur charité n’échappent pas à la règle. Trahison du serment d’Hippocrate ? « De par notre éthique, nous devrions administrer les premiers soins. Mais généralement, après deux jours de traitement, les malades escaladent la barrière pour s’enfuir sans payer », explique M. Tazi de l’Hôpital Ad-Lucem de Bonamoussadi à Douala. « Les Européens qui apportaient une assistance financière non négligeable pour les indigents se font de plus en plus rares », ajoute-t-il, pour expliquer la hausse des coûts.


 


Corruption


Payer à l’entrée ne garantit par pour autant qu’on sera soigné. Dans certains établissements publics des grandes villes, le patient doit en plus verser des dessous-de-table aux infirmiers et aux médecins. À l’exemple de l’Hôpital Laquintinie de Douala où la pratique du bakchich, très répandue, est notoire et connue sous le nom de « pouvoir ». « J’ai donné 15 000 Fcfa (environ 23 Euros) pour qu’on me remette mon bébé qui avait été confisqué alors que j’avais payé toutes mes factures », témoigne Mireille, une jeune maman.


Le gouvernement a annoncé son intention de combattre la corruption en milieu hospitalier. « Nos formations sanitaires doivent redevenir des lieux de confiance, d’espoir et de paix pour les malades, des territoires d’intégrité en ce qui concerne nos relations avec les usagers », écrit Urbain Olanguena Awono, ministre de la Santé publique dans l’éditorial du journal du ministère de la Santé.


Des soins de santé aussi coûteux excluent la majorité des Camerounais dont à peine un sur dix bénéficie d’une assurance-maladie et plus de la moitié vit avec moins de 1,65 Euros par jour. Pas étonnant dans ces conditions que le pays regorge de centres de santés informels, de pharmacies de rue, de « cabinets » de charlatans et autres guérisseurs traditionnels. Une tendance qui inquiète à tel point l’Ordre national des médecins que ce dernier a demandé en février dernier au ministre de la Santé de fermer ces établissements clandestins. Reste à savoir où iraient, dans ce cas, les malades.


 


Alexandre T. Djimeli


 

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