(Syfia Vietnam) Officiellement, le Vietnam, un des premiers pays frappés et très durement par le virus H5N, en 2003, est aujourd’hui indemne. Mais comment en être certain quand la majorité des éleveurs et des petits vendeurs échappent encore à tout
Après « grippe aviaire » et « H5N1 », les consommateurs vietnamiens ont ajouté à leur vocabulaire une nouvelle expression : « volailles propres ». Une formule qui se veut rassurante : à Hanoi, la capitale vietnamienne, 77 points de vente « agréés », censés fournir de la viande sans risque, ont ouvert en quelques mois. Pour obtenir le label « propre » des autorités sanitaires, la volaille doit provenir de régions déclarées « sans épidémie » et être tuée dans des abattoirs répondant eux aussi aux normes d’hygiène. Ces opérations de contrôle semblent apparemment efficaces dans ce pays où a été recensé un des premiers cas humains de grippe aviaire fin 2003 (voir encadré). Quatre-vingt-treize personnes l’ont attrapée et 42 en sont mortes soit près de la moitié des décès enregistrés par l’OMS.
Un boycott qui coûte cher
Mais l’accalmie n’est que de façade. Bien que 2005 ait été considérée comme une année « assez calme », un peu plus de deux ans après le début de l’épidémie, les éleveurs vietnamiens subissent toujours d’importantes pertes. Dès l’annonce en octobre dernier du premier cas de foyer de virus de l’année, le boycott des produits avicoles a très vite gagné du terrain. Faute d’information claire sur les zones touchées, les appels à « ne pas consommer de volailles sans origine » ont semé la panique. Dans des grandes villes comme Hô Chi Minh-Ville ou Hanoi, la vente sur les marchés a même été interdite et les plats à base de viande de volaille ont disparu de la carte des restaurants.
Quelques mois plus tard, la situation ne s’est pas vraiment arrangée. « L’élevage de volailles n’a jamais connu une telle impasse, constate le président de l’Association des éleveurs vietnamiens, Trân Công Xuân. Les éleveurs touchés directement par l’épidémie sont bien sûr les premières victimes. Mais, beaucoup plus nombreux sont ceux qui ne pouvant écouler leurs volailles et oiseaux sont aussi au bord de la faillite. » Alors que leur région n’est pas frappée par la grippe aviaire, des paysans, sans autre choix que de garder leurs animaux, paient le prix fort et ne bénéficient d’aucune aide de l’État. « Rien que pour la nourriture, nous dépensons près de 2 millions de dôngs (environ 100 €) chaque jour » affirme une paysanne de Hai Duong, dans la province du delta du Fleuve Rouge (Nord). Ses 2 000 canards « grands et en bonne santé » risquent de lui coûter en moins d’un mois ce qu’ils lui rapportent en un an. Dans certaines régions, on a même déclaré l’épidémie « virtuelle” pour toucher des allocations de l’ordre de 15 000 dôngs (0,8 €) pour chaque volaille tuée. Pire encore, des éleveurs, peu nombreux, ont laissé leurs volailles s’échapper dans la nature, en dépit du risque de contagion.
Le Têt pour oublier le risque
Fin janvier, la dernière province vietnamienne touchée par la grippe aviaire a pourtant déclaré la « fin de l’épidémie ». Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural est aussitôt passé devant les caméras en train de manger du poulet. En effet, la fête du Têt, Nouvel An traditionnel, approchait. Et les Vietnamiens, qui consomment d’habitude de grandes quantités de poulets à cette occasion, n’attendaient que cela pour sortir de leur réserve. Les restaurants de pho au poulet (soupe de pâtes, un des plats préférés des Hanoiens) ont rouvert et sont bondés.
« Maintenant rien ne m’empêche de manger comme avant. Quand il n’y a plus d’épidémie, il n’y a plus de risque. » Ce jeune Hanoien n’est sûrement pas le seul à raisonner ainsi, cherchant à oublier l’ombre du H5N1. Une attitude un brin désinvolte, car à l’exception des points de vente « agréés » dans les grandes villes, les vendeurs sur les petits marchés et les éleveurs échappent encore à tout contrôle.
« Faute de personnel et de moyen, il est impossible de tout inspecter », reconnaît Hoang Van Nam, directeur adjoint du département de Santé animale au ministère de l’Agriculture. Hanoi consomme chaque jour environ 60 tonnes de volaille. Les abattoirs « aux normes » de la ville ne peuvent en fournir que la moitié. La pression est tellement forte que même le Centre national de recherche sur les volailles, Thuy Phuong, la dernière « forteresse » vietnamienne contre le virus H5N1, en banlieue de Hanoi, a vu son laboratoire transformé en « abattoir commercial ». Les autorités locales se sont récemment fixé comme objectif de construire quatre centres modernes d’abattage de volailles pour répondre aux besoins de la capitale du Vietnam. Il faudra pour cela attendre 2010.
Tuê Dang
L’Asie en première ligne
(Syfia France) Mai 1997 : un garçonnet de trois ans résidant dans un centre avicole de Hong-Kong meurt d’une mystérieuse grippe qui tue cinq autres personnes. Ce sont les premiers cas humains de la « grippe aviaire », ou « grippe du poulet ».
Décembre 2003, <?xml:namespace prefix = st1 ns = « urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags » />la Corée du Sud annonce sa contamination. Suivent très rapidement le Japon, la Thaïlande, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos et le Pakistan. Le mois suivant, c’est au tour du Vietnam d’annoncer ses premiers cas mortels chez l’homme.
Eté 2004 : la Chine reconnaît que le virus avait été trouvé en 2003 sur des porcs, intermédiaires idéaux entre virus animaux et humains.
Eté 2005 : découverte de foyers de grippe aviaire en Sibérie, au Kazakhstan et en Mongolie. En octobre, le virus H5N1 apparaît en Roumanie, en Turquie. Suivent bientôt la Russie occidentale, la Croatie et l’Ukraine.
Janvier 2006 : décès de trois frères et soeurs en Turquie, premiers morts hors d’Extrême-Orient. Un autre décès humain intervient le même mois en Irak. Début février : le H5N1 est décelé pour la première fois en Afrique, au Nigeria. Quelques jours plus tard, il est aussi détecté sur le territoire de l’Union européenne.
À noter que si l’OMS dénombre à ce jour 175 cas d’infection humaine et 95 décès liés au virus depuis son apparition, aucun cas n’a jusqu’à présent été lié à la consommation de volaille ou de produits dérivés cuits convenablement. La FAO, de son côté, recommande de ne pas toucher les oiseaux morts, de se conformer aux règles d’hygiène (par exemple, se laver les mains) après avoir manipulé des volailles ou de la viande de volaille.
Emmanuel de Solère Stintzy