Seulement une quinzaine des quelque 10 000 participants au Forum social mondial de Bamako sont hébergés chez l’habitant. Les organisateurs du Forum sont déçus mais pas la poignée d’étrangers adeptes du diatiguiya, l’hospitalité à la malienne.
Rues nettoyées, caniveaux curés, bâtiments passés à la chaux… Les organisateurs du Forum social mondial se sont retroussé les manches pour embellir les quartiers de la capitale malienne et recevoir dignement leurs hôtes. Les Bamakois «sensibilisés » à l’idée de devoir faire une place dans leur maison à des étrangers venus du monde entier s’étaient proposés en masse pour les accueillir chez eux. Mais le déferlement tant attendu n’a pas eu lieu.
Issiaka Sanogo, membre de la commission accueil et hébergement du Forum, ne cache pas son étonnement. « Nous avons eu recours au diatiguiya (hospitalité, Ndlr) pour répondre aux besoins de logement de ceux qui n’ont pas les moyens suffisants pour faire face au coût de l’hôtel. C’était aussi pour tenir compte du désir de certains invités de découvrir la vie, voire la chaleur familiale africaine. » Les altermondialistes seraient-ils à ce point chatouilleux sur leur confort qu’ils ont boudé ce type d’hébergement dans une ville où les capacités hôtelières sont particulièrement limitées ? Bamako compte à peine une soixantaine d’hôtels pour plus d’un million d’habitants.
Issiaka Sanogo attribue plutôt l’insuccès de la formule à sa mise en ligne tardive et aux informations contradictoires envoyées aux logeurs. La commission prévoyait une contribution financière de 20 000 Fcfa (30 Euros) par étranger reçu plus une moustiquaire. De nombreux volontaires s’étaient proposés, dont certains, après enquête, n’avaient même pas de couchage. « En fait, certains voulaient recevoir des Européens pour faciliter leur départ sur l’Europe ou pour des raisons inavouées », analyse Sanogo. En réaction, le Forum s’est opposé au diatiguiya payant, arguant que c’était dévoyer le sens de cette hospitalité séculaire.
En famille
Finalement, les participants sont logés à l’hôtel ou dans des maisons des jeunes et autres centres d’hébergement collectifs. Seule une poignée d’entre eux ont choisi de goûter au charme de l’accueil chez l’habitant. La vingtaine enjouée, Anne Vander Donck loge dans la famille Krouma Diallo, avec deux autres jeunes filles, belges comme elle. Cette étudiante en sciences politiques qui dit s’intéresser aussi à l’agriculture prononce presque à la perfection le nom de son quartier : Yirimadio. Hébergement, restauration, déplacements pour se rendre au forum : leurs hôtes s’occupent de tout.
Les repas se prennent en famille, par terre, comme d’habitude. Les « étrangères » qui ne savent pas encore manger avec les doigts utilisent cuillère, fourchette et couteau. Quand parfois elles imitent leurs hôtes, leur maladresse suscite de grands éclats de rire. Elles apprécient de ne pas être isolées comme « à l’hôtel où on reste entre Européens », d’approcher d’autres gens et d’avoir ainsi une idée de la vie au Mali. Elles se disent impressionnées par la capacité de leurs hôtes à les mettre à l’aise et par leur jovialité.
Animatrice de radio et promotrice d’une coopérative de voyage et de tourisme, leur logeuse, Fanta Diallo Krouma, se dit heureuse et fière d’accueillir des jeunes filles dont elle apprécie la bonne éducation : elles préfèrent partager les repas familiaux que manger des plats européens. Mme Diallo est elle aussi convaincue que ces contacts offrent la possibilité à l’autre « de découvrir nos coutumes et nos interdits et une occasion de comparer notre civilisation et la leur » pour « comprendre que finalement aucune discrimination ne doit exister entre Blancs et Noirs. »
Les Maliens pratiquent le diatiguiya depuis la nuit des temps. Mais le concept a été popularisé en 2002 par Alpha Oumar Konaré, ex-président du Mali, lors de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) organisée par son pays. Depuis, il a fait des émules. L’Égypte, qui accueille jusqu’au 10 février la CAN 2006, s’en est d’ailleurs inspirée.
Souleymane Ouattara et Oumar Diamoye