Taxes élevées, redressements fiscaux fréquents, fermetures d’entreprises pour non-paiement d’impôts… L’État béninois, pour renflouer ses caisses vides, met la pression sur les entreprises privées qui crient au harcèlement fiscal.
Cet opérateur économique béninois en veut beaucoup à la Direction générale des impôts (DGI). À la suite d’un redressement fiscal de quelque 40 millions de Fcfa (60 000 €), il a de lui-même fermé l’une de ses deux sociétés. « Je n’avais pas d’argent pour payer la somme réclamée par la DGI. Je n’ai pas attendu qu’on vienne fermer ma boîte avant de m’en charger », explique, sous anonymat, cet homme d’affaires. Et de continuer, très déçu : « Selon les contrôleurs fiscaux, je payais des impôts en deçà de la taille réelle de ma société. » Aujourd’hui, il menace de délocaliser sa seconde société dans un pays voisin.
Il n’est pas le seul chef d’entreprise du Bénin à se plaindre. Le président du Conseil des investisseurs privés du Bénin (CIPB), le Français Roland Riboux, estime que, depuis 2005, les conditions d’exercice des entreprises, déjà assez critiques, « se sont fortement dégradé en raison de l’intensification des contrôles ». Selon lui, l’administration fiscale a établi en 2005 au moins cinquante-deux actes de procédure dont douze ont abouti à des redressements et des pénalités d’un montant « exorbitant ». Avec trente et une des plus grandes sociétés du pays, le CIPB, génère à lui seul 42 milliards de Fcfa de taxes et d’impôts (64 millions d’euros), soit 18 % des recettes de l’État.
« Civisme fiscal »
Ces contrôles interviennent dans un contexte de crise aiguë pour les finances béninoises. Les droits de douane, qui représentaient environ 65 % du budget, chutent depuis août 2003, en raison du renforcement des contrôles effectués par les forces de l’ordre nigérianes sur les frontières terrestres. Le Bénin, jusque-là, tirait une bonne partie de ses recettes fiscales de la contrebande avec son grand voisin en servant de couloir de passage aux marchandises européennes ou asiatiques interdites d’importation au Nigeria. Celles-ci transitaient par le port de Cotonou avant d’être réexportées en fraude sur le marché nigérian. Selon le Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (Lares), un centre d’étude privé sur les échanges transfrontaliers, le Bénin a ainsi perdu plus de 35 milliards de Fcfa (53 millions d’euros) en 2004. C’est pour tenter de combler ce déficit que l’État a lancé une campagne de lutte contre la fraude fiscale.
Émissions audiovisuelles et panneaux sur les grandes artères invitent les Béninois à plus de « civisme fiscal ». Mais, travailleurs de l’informel pour la plupart, ces derniers sont peu enclins à payer les impôts. Autant par ignorance de leur intérêt pour la collectivité (construction de routes ou d’écoles), que par goût de la fraude ou défiance générale à l’égard des pouvoirs publics, accusés de détourner l’argent des contribuables. À la sensibilisation, la DGI ajoute la répression : des immeubles et maisons sont saisis pour non-paiement d’impôts, des entreprises fermées. Grâce à quoi, les recettes fiscales ont augmenté en 2005, affirme Moussa Akinocho, de la Direction générale des entreprises, sans plus de précision.
Diminuer le niveau de la taxation
Le CPIB ne remet pas en cause le principe du contrôle, mais en dénonce la méthode. En principe, rappelle-t-il, l’administration fiscale doit d’abord informer l’entreprise concernée, et lui accorder un délai de vingt jours pour fournir les documents nécessaires et pour contester au besoin la notification de redressement fiscal avant son application. « Aujourd’hui, l’entreprise reçoit sans préavis une notification de redressement qui peut atteindre plusieurs milliards car les montants réclamés sont fixés de façon arbitraire », critique Roland Riboux. « Il y a trop de contrevérités dans les accusations des opérateurs économiques, rétorque Moussa Akinocho. Les fiscalistes font leur travail suivant les textes en vigueur. La vérité, c’est que certains chefs d’entreprise sont sérieux, mais d’autres veulent toujours tricher. »
Il n’empêche : dans une étude sur le climat des affaires, réalisée en 2005 dans 155 pays, la Banque mondiale classe le Bénin à la 129e place, loin derrière plusieurs États africains tel le Rwanda (12e rang) dont la législation fiscale, souple, est favorable aux investissements. « Les taxes prélevées au Bénin sont les plus élevées qui soient », note l’étude. Ce qui, prévient-elle, contraint les entreprises à travailler dans l’informel et ne favorise guère, à long terme, l’augmentation des recettes fiscales. Pour Jean-Baptiste Satchivi, du Conseil national du patronat du Bénin, la solution réside dans la diminution du niveau de la taxation « afin d’inciter les entreprises de l’informel à aller vers le formel, ce qui éviterait de faire peser l’assiette fiscale sur un secteur formel qui représente à peine 10 % des sociétés du pays ».
Gnona Afangbedji