La sécurité militaire a confisqué le corps de Linus Fondeh Ngule, décédé au cours d’un interrogatoire, et maintient Giresse Mbuh Akwa, toujours vivant semble-t-il, au secret. Les deux étudiants sont soupçonnés de complicité séparatiste.
« Le 15 mars 2023, j’apprends que mon petit-frère a été arrêté. Il est injoignable. Le lendemain, on m’appelle de son téléphone pour m’informer qu’il est mort, tué au cours d’un échange de tirs avec l’armée. Lorsque je me rends à Buéa, le morguier me dit que le corps a été déposé à la morgue vers 1h par des militaires qui ont versé 10 000F ; le lendemain, pendant que nous y sommes, des militaires arrivent encore et versent encore 20 000F au morguier et disent que c’est leur chef qui les a envoyés. Nous ne parvenons ni à voir le corps de Linus, ni à rencontrer leur chef. Nous nous rendons à Yaoundé, nous rencontrons le colonel Bamkoui, chef de la Sécurité militaire. Il me demande si je savais que mon petit-frère était séparatiste. Je lui dis que ‘’c’est faux’’. Il me demande s’il était malade, je dis qu’il n’était pas malade. Il me dit qu’il a craqué pendant qu’on l’interrogeait parce qu’on lui a montré la photo de ses amis ambazoniens. Et là il me dit que c’est la Sécurité militaire qui a demandé de mettre le corps à la morgue, et qu’elle a ouvert les enquêtes pour savoir si Linus a été torturé. On se retrouve là avec deux versions sur le décès de Linus Ngule ».
Le récit pathétique de Raymond Ngule, frère cadet de Linus Fondeh Ngule, l’étudiant de l’université de Buéa arrêté par les forces de défense et de sécurité le 15 mars dernier et annoncé mort le lendemain. Plus de deux semaines après, la famille subit la peine, sans avoir pu voir le corps de Linus que des sources disent avoir été enlevé dans sa chambre en même temps que son co-chambrier Giresse Mbuh Akwa, au motif qu’ils sont militants sécessionnistes. Ce dernier, déclaré encore vivant, est introuvable. « J’ai demandé à rencontrer mon fils, ils ont accepté mais disent que je ne peux pas parler avec lui. Ils ont refusé la nourriture que j’ai apportée mais ont demandé plutôt que je donne 10 000F pour lui ; ce que j’ai fait. Mais depuis, personne n’a pu poser l’œil sur Giresse», se lamente Thomas Mbuh, le père de l’étudiant.
L’homme parti de Douala est tout aussi confus que la famille de Linus Fondeh : « Ils disent que mon fils est Ambazonien ; ce qui est faux ! Je suis peintre et mon fils m’accompagne souvent dans mes chantiers », expliqiue-t-il. « La dernière fois que j’ai vu Giresse, il avait un petit temps libre et est venu m’aider dans un chantier. On a payé 70 000F, je lui ai remis 50 000F pour qu’il paie son loyer. Je suis resté avec 20 000F et j’ai encore remis 10 000F à sa mère. Moi-même je suis resté avec 10 000F. Mais à peine il est rentré sur Buéa, que j’ai appris qu’on l’a arrêté », rapporte l’homme qui jure que son fils « ne peut pas être séparatiste. J’ai sept enfants et c‘est celui qui a réussi à l’école ; c’est tout mon investissement. Il ne fait que son école. Un séparatiste ne peut pas se battre autant pour avoir de l’argent », insiste-t-il. Les deux familles déjà rapprochées par l’amitié de leurs fils, se retrouvent davantage unies par le destin qui s’abat sur leurs têtes, et dénoncent un « assassinat » déguisé de Linus. « Pourquoi cachent-ils Giresse s’ils n’ont rien à se reprocher ?», se demande Me Nicodemus Amungwa, l’avocat des familles éplorées.
Un « dossier noir de plus pour le gouvernement
C’est un nouveau dossier « noir » sur la table du gouvernement. Après avoir livré deux versions différentes d’une affaire dont s’étaient déjà saisis les réseaux sociaux, la Sécurité militaire se trouve désormais face à la réalité : « ils ont déclaré qu’une perquisition dans leur chambre a permis de trouver une arme ; sauf que personne n’a assisté à cette perquisition, pas même un de leurs voisins. En même temps, ils disent que Linus et Giresse devaient aller récupérer des armes venues du Nigéria par Idenau», pointe Me Amungwa. « Est-ce si facile de faire entrer des armes au Cameroun ? », se demande le conseilqui estime que « dans ce cas, le gouvernement avoue son échec ».
Face à la presse en fin de semaine dernière, les deux familles, qui ont déposé une plainte contre la Sémil pour « enlèvement, séquestration et torture », exigent une « enquête indépendante » au motif que « la Semil ne peut pas être juge et partie dans cette affaire». Dans cette enquête, les familles des victimes veulent « non seulement savoir comment des étudiants vivant dans les locaux de l’université peuvent avoir été enlevés par la Semil sans que les autorités de l »université n’en soient informées, et pourquoi ils n’ont pas été convoqués dans un commissariat ou une gendarmerie pour être auditionnés», explique le conseil des victimes. Par ailleurs, « puisqu’il semble que le gouvernement ne parvient pas à trouver un expert pour l’autopsie, la famille en a trouvé un et veut le corps de Linus pour faire l’autopsie et savoir de quoi il est mort », renseigne-t-il. Quant à « la famille de Giresse, elle exige sa libération ».
La Sémil et le ministère de la défense ne communiquent pas sur cette affaire qui ressemble à celle de Samuel Wazizi, un journaliste basé dans la même région du Littoral, qui, enlevé par les Fds, est décédé en détention dans des conditions jamais élucidées et dont le corps n’a jamais été remis à la famille. Dans cette affaire des étudiants de l’université de Buéa, l’État camerounais a failli dans son rôle de protection des citoyens, encadré par l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dit que « tous les hommes sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination et contre toute provocation à une telle discrimination». Mieux, l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit en son alinéa 1, que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi».
La Semil ne communique pas sur ces faits . Joint au sujet de clarifications sur l’affaire, le capitaine de frégate Cyrille Atonfack Nguémo, chef de la Division de la communication du ministère de la Défense est resté muet. La famille, elle, continue de souffrir dans l’indifférence des dirigeants militaires. « Nous supplions le président de la République d’intervenir dans cette cause pour nous permettre de rentrer en possession du corps de notre fils ; les obsèques de notre père étaient programmées le 4 avril, on a reporté, et maintenant, notre mère est dans un état critique à l’hôpital», se lamente Raymond Ngule. Pour sa part, Thomas Mbuh se dit prêt à remplacer son fils : « Mon fils est innocent ; qu’ils m’enferment et libèrent mon fils. Il est tout l’espoir de ma famille», propose l’homme.
Lindovi Ndjio, avec Jade »