Les défenseurs de Yenkong Sulemanu, retenu depuis 2022 par les éléments de la Sécurité camerounaise, s’insurgent contre les actes de violence perpétrés sur leur client. C’est un cas parmi tant d’autres dénoncés par les organisations de défense des droits de l’homme.
Dans une communication du 14 février 2023 Me Amungwa Tanyi Nico porte à la connaissance de la communauté nationale et des institutions internationales les actes de “torture” dont a été victime Yenkong Sulemanu. En substance, le communiqué indique que le 1er février 2023, son client “a été gravement torturé” dans les locaux du Secrétariat d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie (SED), précisément au Service Central des Recherches Judiciaires (SCRJ) ; que les agents de la gendarmerie ont utilisé une machette rouillée avec laquelle ils ont appliqué des coups à la plante des pieds de sieur Yenkong Sulemanu coincé sur une chaise.
Les avocats indiquent également que M. Yenkong a été séparé des autres personnes arrêtées quasiment à la même période à Bamenda, que par la suite il n’a pas bénéficié des soins appropriés, qu’il était incapable de marcher à cause des douleurs; qu’ils ont eu de la peine à le rencontrer alors que les dispositions de la Constitution inscrites dans le préambule “proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés” et que la loi fondamentale affirme plus loin que “toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants”.
Me Amungwa Tanyi Nico, membre du collectif des avocats de Sisiku Ayuk Tabe et les personnes arrêtées dans le cadre de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, affirme au demeurant qu’il a subi des menaces verbales de la part d’un gendarme. “Je vais te montrer toutes les couleurs même étant dehors”, s’est efforcé d’écrire en français l’avocat d’expression anglaise. L’ensemble de ces comportements décrits par l’homme de droit ont amené celui-ci à exiger des sanctions contre les auteurs de ces actes en lien avec les conventions auxquelles est partie prenante le Cameroun et qui interdisent la torture. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 rappelle justement, et à cet effet, en son article 7 que “nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants” tandis que l’article 10 indique en outre que “toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine”.
Cas préoccupant
Depuis la sortie de Me Amungwa Tanyi Nico, on n’a pas encore enregistré de réaction venant des responsables du Secrétariat d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie. Cette autre institution en charge de la sécurité intérieure est pourtant interpellée à plus d’un titre [par l’avocat également] d’autant plus que le SED est fortement sollicité en matière de détention des personnes soupçonnées de terrorisme dans le cadre de la crise anglophone, en particulier depuis 2016, et dans bien d’autres cas de figure. Déjà que le pays fait face à de nombreuses situations de crise qui l’ont amené à adopter une loi assez controversée sur le terrorisme en 2014.
“Nous informons également le monde que la commission des actes de torture cruels, dégradants et inhumains contre des suspects est une violation flagrante de la présomption d’innocence qui est l’un des droits humains fondamentaux”, continue d’insister Me Amungwa Tanyi Nico.
Interpellation à questionnements
Il faut noter qu’en 2022, ce cas a été récemment documenté par Amnesty International, une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme. L’Ong indiquait alors que “(…) Sulemanu Yenkong, une connaissance d’Abdul Karim Ali, (…) aurait été interpellé le 19 novembre à Nkwen, près de Bamenda. Il a été détenu en plusieurs lieux, puis détenu au secret, avant d’être transféré au SED le 28 novembre.” Dans le communiqué de presse du 22 décembre 2022 publié par Amnesty International, il est précisé que les personnes arrêtées autour du nommé Abdul Karim, l’ont été dans des conditions troubles. “La détention d’Abdul Karim Ali s’inscrit dans une période où les autorités camerounaises continuent d’arrêter et de détenir arbitrairement ceux qui critiquent le gouvernement ou dénoncent les violations des droits humains commises dans le contexte des violences armées qui secouent les régions anglophones du pays. Abdul Karim Ali doit être inculpé sans délai d’une accusation prévue par la loi ou être libéré. »
En fait, on apprend que sieur Yenkong Sulemanu fait partie des deux hommes qui “sont accusés de travailler” pour Abdul Karim. Ce dernier est lui-même entre les mains des éléments du SED et est poursuivi devant le Tribunal militaire “après avoir dénoncé la torture perpétrée et diffusée en ligne par le leader d’une milice pro gouvernementale dans la région du Sud-Ouest”, déclare Amnesty International. C’est en contradiction avec l’article 5 de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples (CADHP) selon laquelle “tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique”. Mieux, “toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains et dégradants sont interdites”, ajoute le texte.
Le SED fortement critiqué
Le cas “Yenkong Sulemanu” n’est pas nouveau. Il rejoint la longue liste des récriminations faites au SED par les défenseurs des droits de l’homme. En 2021, « Ces récits crédibles de torture et d’abus au Secrétariat d’État à la défense ne sont malheureusement pas les premiers, mais seulement les plus récents », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le fait que les forces de sécurité semblent se croire libres de torturer les détenus et de les soumettre à d’autres abus est la conséquence directe de l’attitude du gouvernement camerounais consistant à fermer les yeux sur les rapports documentant ces abus – mais le monde entier observe la situation de près. », a-t-il dit au moment où le Cameroun continue de faire l’objet de graves dénonciations en ce qui concerne le non-respect des droits de l’homme.
Il faut souligner en outre que, depuis l’enlisement de la crise sociopolitique dans le Nord-Ouest et le Sud-ouest, les acteurs en présence s’accusent réciproquement de violence contre les civils et violation des droits de l’homme. La Commission des droits de l’homme du Cameroun (CDHC), dans ses différents rapports depuis le déclenchement de cette crise, n’a de cesse de dénoncer les atteintes aux droits de la personne. Une compétence que lui confère la loi n°2019/014 du 19 juillet 2019 portant creation, organisation et fonctionnement de la commission des droits de l’homme du Cameroun et qui “fait également office de Mécanisme National de Prévention de la torture du Cameroun, en abrégé « MNPT »”, selon l’article 1(3) du texte sus évoqué.
A ce propos, dans son rapport 2021, il est clairement précisé que, pour ce qui est de la “Torture et autres châtiments ou traitements cruels, inhumains ou dégradants”, “bien que la Constitution et la loi interdisent ces pratiques, certaines sources ont signalé que les forces de sécurité avaient torturé des civils, notamment des combattants séparatistes, leurs partisans soupçonnés et des opposants politiques, ou leur avaient infligé d’autres mauvais traitements”. La Commission est d’ailleurs revenu sur des faits qui se sont produits le 13 février 2021 : “une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et les journaux télévisés montraient une unité mixte de forces de défense gouvernementales en train d’infliger des sévices à un civil, l’interrogeant en français et en “pidgin” anglais, versant de l’eau sur lui et le frappant à la machette jusqu’à ce qu’il perde conscience”.
Pour ce qui est de Yenkong Sulemanu, les avocats appellent à la sanction des actes de torture sur leur client mais aussi à garantir leur sécurité en tant que conseils dans l’exercice de leur profession.
Hervé Ndombong (JADE)