Le calvaire des personnes handicapées de la lèpre à Koutaba

Ils sont plus d’une vingtaine de malades guéris de la lèpre, mais qui ont gardé leur infirmité. Casés depuis plusieurs années dans la léproserie de Koutaba dans le département du Noun,certains qui y ont trouvé refuge sont voués à eux-mêmes.

PourTakougam Christophe, handicapé moteur des suites de la lèpre, l’univers entier est contenu dans une cabanede la léproserie de Koutaba, sur un lit en bambous, un matelas de fortune, un drap et une couverture qui semblent diminués par la force du temps. Dans sa maisonnette qu’il occupe avec sa fille, il n’y a de l’espace que pour un foyer, de vieux ustensiles de cuisine et quelques tabourets. Selon lui, ils sont voués à eux-mêmes, car ils ne reçoivent plus d’aides du gouvernement. « Nous n’avons pas d’argent pour acheter quoi que ce soit. Nous qui sommes ici, notre véritable problème c’est les médicaments et la nutrition. Je suis aveugle. Avant on nous envoyait le bétail, la nourriture. Même les sœurs qui nous aidaient, depuis que la pandémie a commencé, elles ne viennent plus. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes », a-t-il déclaré.

Cette situation précaire, il ne la vit pas seul, car ils sont plus d’une vingtaine dans la léproserie de Koutaba devenue centre de santé intégré. Un peu plus loin de son domicile, nous avons rencontré Tchoutkoueu Joseph, lui aussi amputé de ses deux jambes. Pour cet ancien malade de la lèpre, ils vivent au quotidien comme des oiseaux du ciel, à cause de leur handicap physique qui les empêche de travailler et de subvenir à leurs besoins.  « Notre seul souci c’est les médicaments et aussi la nourriture, parce que nous ne travaillons plus. Moi j’ai besoin d’un fauteuil roulant parce que j’ai les deux jambes amputées. L’Etat nous donnait de l’aide avant mais à un moment, c’est plutôt les Ong, les associations qui nous aidaient. Ce sont les enfants de mes frères qui m’aident à puiser de l’eau et faire quelques petits travaux », estime-t-il.

Dans le même temps, face à cette situation alarmante où, ces malades sont vulnérables et exposés à la pauvreté,les responsables du centre de santé intégré de la léproserie de Koutaba, restent préoccupés. « Nous enregistrons ici à l’hôpital 22 lépreux qui restent. Leur situation est très délicate dans la mesure où il n’y a plus les produits pour leur traitement ; parce que le peu de produit qu’on a au centre, on fait avec. Mais c’est toujours insuffisant. Et là leur situation est très compliquée en matière de nutrition ; parce qu’on est obligé parfois de mettre la main dans la caisse du centre pour les aider. C’est un problème pour nous parce qu’on se retrouve parfois à la fin du mois sans argent pour payer le personnel temporaire.  Quand ces malades ont faim, ils peuvent empêcher le personnel de travailler. Ils descendent ici en groupe, et nous pouvons passer toute la journée sans travailler à l’hôpital parce qu’ils réclament de quoi se nourrir », affirme le représentant du chef de centre,Adipouopouo Amidou Assan. 

PRISE EN CHARGE ET PROTECTION SOCIALE

Au Cameroun si en temps normal les handicapés sont souvent vulnérables et négligés, les personnes handicapées de la lèpre sont généralement abandonnées par leur famille et suspectées d’être des sorciers selon une croyance sociale. Or comme ces anciens malades de la lèpre, toutes les personnes handicapées ont des droits. Dans l’article 28 de la convention relative aux droits des personnes handicapées, il est déclaré que : « les personnes handicapées ont droit à un niveau de vie adéquat, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquat, à une protection sociale effective, y compris l’accès aux programme de réduction de la pauvreté et de logements sociaux ».

Mais comme d’autres droits définis par les textes internationaux qui demeurent dans l’ensemble inappliqués, cette disposition n’est pas mise en application par l’Etat pour protéger ces personnes vulnérables.Du côté du ministère de la santé publique,Njukuyu Issiaka, chef bureau santé district de santé de Foumban et Nkouengnam Inoussa, coordonnateur régional Maladies tropicales négligées (Mtn), estiment que ce département ministériel s’est désengagé dans la prise en charge de ces malades à  cause du seuil d’élimination de la lèpre atteint en 2006 par le Cameroun, selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (Oms).« Les malades qui sont là, c’est des anciens malades qui ne sont plus des malades. Ils souffrent du handicap et de la pauvreté, simplement. Ce n’est plus une histoire du ministère de la santé, mais du ministère des affaires sociales, si le Cameroun a développé un programme d’aide. Ceux qui sont à Koutaba sont les anciens malades et l’Etat avait demandé qu’ils rentrent chez eux. Ces logements, on va récupérer  parce que ce n’était pas leur patrimoine à eux », nous explique Nkouengnam Inoussa, coordonnateur régional Maladies tropicales négligées (Mtn).

Au niveau de la délégation départementale des affaires sociales du Noun, Makwet ép. Moma Anne Odile, inspecteur des affaires sociales, Délégué départemental, affirme que : « Pour ce qui est de l’accompagnement de cette cible, c’est un peu difficile. Nous encourageons ces gens à se retrouver en association. S’ils sont en association, nous pouvons les accompagner mais à travers les partenaires. Parce qu’aujourd’hui la politique de l’Etat veut qu’on recherche le partenaire qui tient la main de ces associations. S’ils sont en famille, et qu’ils désirent avoir de l’aide, ils saisissent la mairie de Koutaba, parce que le centre des lépreux est situé dans l’arrondissement de Koutaba… Mais ça n’empêche que des parents lépreux qui sollicitent peut-être l’accompagnement scolaire de leurs enfants, qu’ils nous saisissent à travers le centre social. Nous les accompagnons et les enfants fréquentent gratuitement. Mais malheureusement parfois quand on traite les cas, je n’en trouve pratiquement pas les cas des enfants issus des parents lépreux. Je me disais que peut-être c’est déjà un problème de santé publique écartée. Quand vous me dites qu’ils y a encore 22 cas, peut-être qu’il faudrait encore descendre sur le terrain pour les sensibiliser, pour leur dire : si vous avez des enfants au lycée, venez nous voir pour qu’on voie comment les accompagner pour qu’ils puissent au moins aller de la 6ème en terminale ; aller à l’école sans dépenser parce que cette mesure est là et les chefs d’établissements sont très compréhensifs pour ces cas sociaux ».

VULNERABILITE DES PERSONNES HANDICAPEES DE LA LEPRE FACE A LA COVID-19

Selon l’Onu, les personnes handicapées sont parmi les plus touchées par la Covid-19. Elles n’ont généralement pas un accès adéquat aux informations de santé publique, et sont confrontés à des grands obstacles dans la mise en œuvre des mesures d’hygiène de base et l’accès physique à des installations sanitaires. C’est donc le cas de ces anciens malades du centre de santé intégré de la léproserie de  Koutaba, qui ont été relégués au second plan et qui n’ont bénéficié d’aucune aide du gouvernement dans la lutte contre cette pandémie. « Depuis le début de la pandémie du coronavirus jusqu’aujourd’hui, ces malades n’ont rien reçu allant dans le sens de la lutte contre cette pandémie ; ni les caches nez qu’on partageait dans les centres. Ils n’ont rien eu », soutient le représentant du chef de centre. Pourtant  l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme (1948),  indique toute personne a droit à la santé et à la protection sociale. « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou de dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».

Face à ce constat de violation des droits des personnes handicapées de la lèpre à Koutaba, l’Etat doit agir le plus vite pour assurer une protection sociale à ces malades qui sont les plus vulnérables face à la Covid-19, à cause de leur condition de vie précaire.

Nacer Njoya (JADE)

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