Les droits des journalistes de plus en plus bafoués au Cameroun

Recul de la liberté de presse.

Le classement mondial de la liberté de la presse 2021 vient d’être rendu public. Le pays perd deux places en deux années consécutives, et se retrouve parmi les seuls pays africains où des journalistes continuent d’être emprisonnés sans avoir été au préalable  jugés. Les syndicats dénoncent. L’Etat se défend.

Le classement publié mardi 20 avril 2021 par l’organisme international de défense des droits des journalistes dans le monde, Reporters sans Frontières (Rsf), affiche le Cameroun à la 135ème place. Notre  pays a perdu une fois encore une place dans le classement de l’année en cours.  Le Cameroun a été classé à la 133ème place en 2019, 134e en 2020, 135ème rang en 2021. Le pays perd ainsi deux places en deux années consécutives. Le vert-rouge-jaune  est considéré par Rsf comme faisant partie des pays du continent les plus à risques pour les journalistes. Les pouvoirs publics battent en brèche cette affirmation et évoquent la kyrielle de médias  comme étant une preuve de  démocratisation du paysage médiatique camerounais.

Mais pour le  directeur Afrique de Rsf, Arnaud Froger, le nombre élevé de médias ne garantit pas la liberté de la presse dans un pays.  «Le nombre pléthorique d’organes de presse souvent mis en avant par les autorités ne suffit pas à assurer un environnement favorable aux médias, et il n’est pas rare que les journalistes subissent détentions arbitraires et poursuites, notamment devant des tribunaux militaires ou des juridictions spéciales», insiste Arnaud Froger. L’organisme qui lutte pour la liberté de la presse est à couteau tiré avec le pourvoir de Yaoundé à cause de nombreuses arrestations et détentions arbitraires ainsi que des assassinats dont sont victimes les hommes et femmes de médias camerounais.

A titre illustratif, on peut citer le cas du bloggeur Paul Chouta, celui de l’ancien directeur général de la Cameroon Radio Television (Crtv), Amadou Vamoulke, Mimi Meffo journaliste a Equinoxe télévision, Samuel Wazizi reporter d’image et présentateur d’une émission à Chillen Music Télévision, CMTV, une chaine régionale privée anglophone dans la ville de Buéa, décédé dans des circonstances troubles et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Paul Chouta reste toujours en prison, Mimi Meffo quant à elle a quitté le pays au lendemain de sa libération. Le Cameroun et l’Erythrée, classés 180e/180,  sont les seuls pays du continent  africain où des journalistes sont emprisonnés sans avoir été au préalable  jugés.

S’agissant notamment du cas d’Amadou Vamoulké, Arnaud Froger renchérit : «L’Onu, qui a reconnu le caractère arbitraire de cette détention, a demandé au Cameroun de le libérer. En vain. Les journalistes des régions anglophones, qui en outre connaissent régulièrement des coupures d’internet, sont particulièrement ciblés et régulièrement accusés d’être complices du mouvement sécessionniste qui s’oppose depuis plusieurs années au pouvoir central de Yaoundé».

Rsf rappelle surtout que les périodes électorales sont des moments au cours desquels les journalistes courent d’énormes risques.  Le pouvoir exerce une forte pression sur les professionnels des médias, notamment ceux qui refusent de se laisser corrompre.  Rsf se souvient particulièrement du scrutin présidentiel de 2018. Menaces, agressions et arrestations étaient alors le lot quotidien des journalistes. Le directeur de publication du journal Kalara, Christophe Bobiokono, ainsi que l’un de ses journalistes avaient été condamnés suite aux accusations de « diffamation » d’un député, après des révélations concernant un parti politique de l’opposition.

Les syndicats dénoncent le laxisme du Gouvernement

L’association des journalistes d’expression anglaise (Camasej) dénonce le silence complice du gouvernement sur les menaces que subissent en ce moment les journalistes des régions anglophones. « Il y a des intimidations. L’Etat ne veut pas qu’on rende compte de ce qui se passe exactement sur le terrain. Le 15 Mars, Fame Bunyui Fakeh, journaliste à la crtv Buéa a été kidnappée à sa résidence au quartier Ntarikon par des hommes armés. Elle a été torturée par ses ravisseurs avant d’être relâchée plus tard. Tous les jours nous recevons des intimidations au téléphone. Le climat n’est pas propice à l’exercice de la profession de journaliste » explique Viban Jude, le président national de  Camasej. 

Il poursuit en précisant que pour le cas des journalistes en prison, ou disparus, le gouvernement ne leur donne aucune information. « Nous avons un journaliste qui travaillait dans le Sud-Ouest, Samuel Wazizi, il est mort depuis deux ans à Yaoundé. L’Etat refuse de nous donner son corps. Le gouvernement ne nous dit rien », s’inquiète Viban.

Le ministère de la communication se défend

Sandrine reine Ethe epouse Ngodi, délégué régional de la communication pour le Littoral indique qu’il ne faut pas se fier uniquement aux différents problèmes que rencontrent les journalistes en ce moment, il faut aussi voir le fabuleux travail que le ministère de tutelle abat pour professionnaliser d’avantage la presse au Cameroun. « Il serait souhaitable que de tel rapport mentionne aussi ce qui est fait de positif. Aujourd’hui le paysage de la presse a pris une autre connotation, celle du cyber journalisme. Et il y a une loi sur la cybercriminalité que beaucoup de journalistes négligent. Il y a de cella un mois, la journaliste  Lyse Davina Nguili pour avoir écrit un article sur un journal en ligne, portant des accusations sur un cadre de la société Scb, a été arrêtée à Yaoundé et transférée à Douala. Il a fallu une forte mobilisation pour qu’elle soit libérée.  Le ministère de la communication a joué un rôle dans cette affaire. Nous ne cautionnons pas les arrestations arbitraires. Nous demandons par contre aux journalistes, d’être de plus en plus professionnels pour éviter de tomber sous le coup de la loi ».

Les avocats exigent le respect de la loi.

Les détentions arbitraires et les cas de condamnation des journalistes sans jugement sont des actes de violation de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. L’article 7 précise que nul ne peut être condamné pour une action sans jugement. Tout homme a droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ». Les avocats citent le cas de Paul Chouta en prison depuis bientôt deux ans pour diffamation sans condamnation. Ou encore des multiples renvois des procès d’Amadou Vamoulké sans aucune raison.

L’intimidation et le musellement des journalistes devant les tribunaux militaires, les arrestations arbitraires et les tortures constituent aussi une violation des lois du pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’article 7 stipule que « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Et l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de rappeler que « toute personne a droit à l’information, toute personne a droit d’exprimer ses opinions ». Les acteurs de la société civile espèrent que le gouvernement camerounais fera des efforts pour faire remonter le Cameroun dans ce classement de Rsf, en faisant triompher la vérité.

Hugo Tatchuam(Jade)

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