Menacés par l’État et les séparatistes anglophones.
La recrudescence des conflits entre l’armée gouvernementale et les séparatistes anglophones rend impossible l’exercice de la profession de journaliste dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Les deux camps obligent les journalistes à donner des informations non vérifiées pour servir leurs intérêts.
« A Bamenda lorsqu’on te donne une information tu ne peux pas aller vérifier ça sur le terrain. C’est difficile de sortir de la ville. Tu vas rencontrer des groupes armés ou des militaires. Ils vont te renvoyer, te kidnapper ou te tabasser. L’accès à l’information est difficile. Il y a manipulation. Nous dépendons uniquement des sources secondaires », affirme Jude Viban, le président de l’association des journalistes d’expression anglaise (Camasej).
Il déplore la dégradation considérable et alarmante de la situation des journalistes dans les régions du Sud-Ouest et Nord-Ouest. « Nous les journalistes sur le terrain, nous fonctionnons seulement avec les communiqués rendus publics, côté gouvernemental par les préfets et gouverneurs, côté groupe armé par les leaders sécessionnistes, la plupart basés à l’étranger. Ce sont des informations de troisième main, que tu ne peux pas aller vérifier. Par exemple lorsqu’ils nous ont annoncé les massacres de Ngarbuh. Personne n’est allé là-bas vérifier les faits sur le terrain, interroger les populations. C’est difficile, voire impossible pour un journaliste d’arriver là-bas », se plaint Jude Viban.
Pour lui, les journalistes vont dans l’arrière-pays uniquement lorsqu’il y a une tournée administrative du gouverneur. Ils sont invités officiellement pour couvrir la tournée. Il est impossible pour eux de se détacher de la délégation pour aller faire des reportages. Ils rendent compte seulement de ce que l’Etat souhaite montrer au peuple.
Entre le marteau et l’enclume
Il y a deux groupes armés qui s’affrontent à tous les niveaux. « Il y a l’Etat, et les groupes armés séparatistes. L’un comme l’autre ne laisse pas les journalistes travailler, sous prétexte de sécurité. Les séparatistes ne se cachent pas. Ils ont leurs bases partout. Ils font les contrôles routiers comme la police, ils ont une hiérarchie, il y a les généraux, les capitaines et tout ça ».
A Bamenda particulièrement, le journaliste n’est plus sûr de sa vie. « Tu as en face de toi des gens qui réagissent avec la force. C’est difficile pour un journaliste d’avoir le courage d’aller dans les zones occupées par ces personnes pour faire des enquêtes ou des reportages. Il y a le journaliste freelance de Equinoxe, Tamfu Harisson, qui réussissait à un moment à aller faire des reportages sur le terrain. Mais il a été arrêté », explique l’association des journalistes anglophones.
Autocélébration
La pratique la plus répandue à Bamenda c’est le « Mbéré journalism ». « C’est à dire tu vas sur le terrain avec des militaires à leurs demandes. Mais cette pratique a un danger. Quand tu vas avec les militaires, ils t’amènent pour filmer ce qu’ils veulent. Ils t’interdisent de parler avec la population. Tu ne te sens pas en sécurité. Ils te disent par exemple voici les corps des séparatistes tués etc, mais ils ne te laissent pas interroger les populations pour avoir leur version des faits, ou même pour savoir si c’est vrai », s’inquiète un confrère anglophone.
Autre chose, lors des attaques des villages pendant les conflits, le journaliste ne peut pas arriver sur le lieu de l’incident parce qu’il n’est pas protégé. « La plus grande difficulté c’est cette absence de sécurité. C’est difficile de travailler, donner une information complète, des informations fouillées, comme on dit en anglais « the very well information ». Il y a aussi des menaces », explique le président de Camasej.
Par ailleurs, Il y a des zones où les militaires ne laissent pas les journalistes aller. Lorsque le journaliste veut traverser, il est repoussé parce que ce sont des zones militaires. Impossible de circuler.
La guerre des chiffres
L’association Camasej mentionne également que lorsqu’un journaliste écrit par exemple dans un article de presse que les militaires ont brûlé 30 maisons, et qu’après vérification on constate qu’effectivement ces maisons ont été brûlées, l’auteur de l’article aura des menaces téléphoniques, verbales, des influences. Tout cela fait par des militaires.
Et si un journaliste écrit que les séparatistes sont descendus dans les villages, ont tabassé les populations, commis des dégâts, il sera aussi menacé par les leaders sécessionnistes. Des numéros inconnus vont l’appeler pour le menacer. « Le journaliste est entre le marteau et l’enclume. Il peut se faire broyer à tout moment ».
Conséquence pour les informations qui viennent des régions anglophones, « soit on chante pour plaire aux militaires, soit on chante pour les séparatistes. Le journalisme d’investigation ne fait plus partie de l’agenda des journaux en régions anglophones parce que c’est dangereux », conclut Jude Viban.
Des journaux d’expression anglaise comme, The Post, The Guardian Post, et bien d’autres, ont réorienté leur ligne éditoriale vers l’actualité générale du pays. On n’y retrouve pas de reportages et enquêtes portant sur les villes anglophones comme Buéa, Limbé ou Bamenda, où se trouvent les sièges de ces journaux, et lieux de nombreux affrontements.
Au mois de janvier 2021, l’association des journalistes anglophones a confirmé l’enlèvement par des groupes armés du journaliste Fung John Ngun en service à la radio Ndefcam à Bamenda. L’association avait condamné cette atteinte à la liberté de la presse et au droit des professionnels des médias.
La liberté d’expression bafouée.
Selon la Charte de Munich, le journaliste a pour devoir, la recherche, la rédaction, le commentaire des évènements d’actualité. En ce moment il est impossible de les mettre en pratique dans les régions anglophones. Par ailleurs, l’insécurité à laquelle sont confrontés ces journalistes et qui les empêche de travailler, constitue une violation de la liberté d’expression.
Hugo Tatchuam (Jade)