Adamaoua. L’éducation de ces enfants est compromise
En 2020, l’association de Développement Social et Culturel Mbororo (Mboscuda) a recensé 10.959 enfants mbororos n’ayant pas d’acte de naissance dans la région de l’Adamaoua. Les principales raisons sont la pauvreté, et l’éloignement de leurs campements des centres d’état civil. Conséquences, ces enfants non enregistrés n’ont aucun fondement juridique et ne peuvent pas se prévaloir d’être des camerounais, ni bénéficier d’une éducation normale.
Pour eux, l’école s’arrête au cours moyen première année (CM1), car ils ne peuvent pas se présenter candidats au Certificat d’Etude Primaire (CEP) pour manque d’acte de naissance. Une situation qui va à l’encontre de la convention relative aux droits de l’enfant qui dit en son article 7 que : « L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom et à une nationalité, et le droit de connaitre ses parents et d’être élevé par eux. Les Etats veilleront à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride ».
En même temps, l’article 24 du pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule clairement que, « tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou social, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur ». Tout à côté, il y a aussi la convention relative aux droits de l’enfant qui engage la responsabilité de l’Etat dans son article 4. « L’Etat doit prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits de l’enfant », peut-on lire. Cependant l’Etat du Cameroun a mis sur pied le Bureau National de l’Etat Civil (Bunec) pour faciliter non seulement l’obtention des actes de naissance à travers les jugements supplétifs, mais aussi les enregistrements de naissance.
Si dans les régions de l’Extrême-Nord et de l’Est l’Etat a déployé du matériel roulant comme les motos pour permettre aux agents du Bunec de se déplacer dans les coins les plus reculés, ce n’est pas encore le cas dans l’Adamaoua. Ici, d’autres stratégies sont mises en place. « Nous sommes en train de murir une réflexion pour pouvoir expérimenter un mécanisme communautaire d’enregistrement des faits d’état civil. En réalité, il s’agit d’un mécanisme qui va associer plusieurs acteurs d’état civil notamment les chefs traditionnels, le personnel des centres d’état civil et certains leaders communautaires ; ça peut être les conseillers municipaux, les habitants de la localité qui devraient également prêter main forte au processus d’enregistrement », renseigne Ishaga Ishaga, régional Bunec de l’Adamaoua.
Deux responsables régionaux réagissent

Ahmadou Roufaye, secrétaire régional Mboscuda Adamaoua
« Nos frères ont la phobie de l’administration »
Selon vous, pourquoi il y a tant d’enfants mbororo sans acte de naissance ?
Les raisons sont multiples. Je tiens à préciser ici que l’association de Développement Social et Culturel Mbororo (Mboscuda) a comptabilisé en 2020 dans la région de l’Adamaoua, 10.959 enfants mbororos sans actes de naissance. Ils sont 6.281 dans le département du Mayo-Banyo, 1.461 dans le Faro et Déo, 1.602 dans le Mbéré, 1.007 dans la Vina et 608 dans le Djérem. Pour revenir à votre préoccupation, je dirais qu’il y a l’ignorance des procédures du jugement supplétif, le coût élevé du jugement supplétif, l’ignorance de l’importance de l’acte de naissance, la phobie administrative, l’arnaque, le manque des pièces officielles des parents ou, parfois c’est l’un des parents qui en dispose et généralement c’est le père. L’autre raison c’est aussi que la cible est en majorité analphabète et ajouter à cela, l’éloignement des campements mbororos des centres d’état civil.
Que fait Mboscuda pour remédier à la situation ?
Nous faisons beaucoup de choses dans ce sens. Je vais prendre la plus récente activité que nous avons menée avec nos partenaires. La collaboration avec l’Ambassade des Etats-Unies au Cameroun de décembre 2020 à septembre 2021 a permis de mettre sur pied le projet « améliorer l’accès à l’état civil des enfants mbororos dans la région de l’Adamaoua au Cameroun ». L’objectif de ce projet était de soutenir les enfants mbororos dans les communautés cibles de l’Adamaoua pour obtenir un état civil en temps opportun. Le projet a abouti le 29 septembre 2021 à Ngaoundal avec la remise de 600 jugements supplétifs d’acte de naissance aux enfants mbororos.
217 enfants étaient de la commune de Ngaoundal, 170 sont venus de Méiganga, 80 de Djohong, 50 de Ngaoundéré 1er, 50 de Ngaoundéré 2e et 50 de Ngaoundéré 3e ; soit six communes au total. A cet effet, chaque commune est repartie avec un classeur en bois pour ranger leurs documents. Outre les bénéficiaires, nous avons convié les chefs traditionnels, les leaders d’opinion, les acteurs de l’état civil et naturellement le maire et le sous-préfet de Ngaoundal pour une sensibilisation de masse sur l’importance de l’acte de naissance. Nous allons continuer à travailler dans ce sens.

Ishaga Ishaga, régional Bunec de l’Adamaoua
« Nous allons installer les bureaux d’état civil dans les formations sanitaires »
Quelle est la contribution de l’Etat à travers le Bunec pour que les enfants mbororos aient leur acte de naissance ?
Nous expérimentons actuellement une nouvelle stratégie. Il s’agira de faire savoir aux chefs traditionnels le rôle qu’ils sont sensés jouer par rapport à l’état civil. En principe si le système fonctionne normalement, pour une association comme Mboscuda, imaginez-vous que dans leurs localités ils ont une représentation de leur association. Pourquoi est-ce qu’il ne faudrait pas responsabiliser ces responsables de cette association dans le coin concerné pour qu’ils servent de relais entre le bureau de l’état civil et la communauté ? Ils ne devraient même pas attendre que le Bunec intervienne pour faire cela. J’imagine par exemple que le président de Mboscuda dans cette localité ou le secrétaire général devra donc de temps en temps collecter les déclarations de toutes les naissances qui surviennent dans la localité concernée et des villages environnants, les transmettre au niveau du centre d’état civil compétent et après l’établissement des actes sur la base de ces déclarations, aller décharger ces actes pour venir les remettre aux légitimes propriétaires.
En réalité, la loi d’ailleurs ne pourrait peut-être pas permettre cela parce que, l’acte de naissance, l’acte de mariage ou l’acte de décès devraient normalement rentrer à qui de droit. Par contre, nous avons un contexte qui est quand même difficile où les gens ne comprennent même pas l’importance de ces documents et parfois on se dit qu’on peut chercher d’autres stratégies pour la remise des actes. Et dans ce cas particulier, on pourrait bien admettre également que le président ou le secrétaire généraledu démembrement de Mboscuda qui a eu à émettre les déclarations puisse également décharger les actes de naissance et les remettre aux ayants droit contre décharge. J’insiste sur le fait que ces actes soient déchargés parce qu’il faut qu’il y ait une certaine traçabilité au niveau du centre d’état civil. Ceci permet, s’il y a des pertes quelque part, qu’on puisse facilement retracer.
N’y-a-t-il pas d’autres alternatives ?
L’autre possibilité qui est déjà en expérimentation c’est de pouvoir installer les bureaux d’état civil dans les formations sanitaires. Les localités qu’on estime être éloignées des centres d’état civil où vivent les populations mbororos, si elles regorgent des formations sanitaires, on pourrait voir dans quelle mesure est-ce qu’on peut travailler ensemble pour installer dans cette formation sanitaire un bureau de l’état civil qui aura donc pour charge, de transmettre systématiquement ou de collecter systématiquement toutes les déclarations de fait d’état civil qui lui surviennent ; qu’il s’agisse des naissances et décès. Maintenant si le personnel qui est chargé d’animer ce poste d’état civil au niveau de cet hôpital est bien formé, à ce moment-là on pourra envisager sa nomination et sa prestation de serment pour que, sur place il puisse directement enregistrer dans les registres d’état civil les actes de naissance et de décès. Et après ces actes seront contre signés par l’officier d’état civil compétent.
Ce deuxième projet est déjà effectif par exemple au niveau de Bankim à l’hôpital de district où les populations mbororos recourent aux services de ce bureau d’état civil. Nous avions fait le tour récemment, le service rendu par ce gars est formidable. Au-delà de la formation sanitaire dans laquelle il est logé, le gars se déplace dans les autres hôpitaux du coin pour récolter toutes les déclarations de naissance qui sont en chômage dans ces formations sanitaires et revient dans son bureau à Bankim, dresse les actes, les fait contresigner par la mairie et après il procède à la distribution de ces actes. A Tibati il y a un poste similaire qui fonctionne également bien. Il y a aussi le même poste qui est créé du côté de Banyo, à Tignère, Djohong, Méiganga. Malheureusement ceux-là ne fonctionnent pas encore très bien parce que, parfois il y a un problème de local dans la formation sanitaire, ou c’est la mairie qui se plaint de n’avoir pas un personnel pour dédier à la tâche. Au niveau de l’Adamaoua, nous pensons même aller dans les quartiers.
Par Francis Eboa (Jade)