La mairie de Wum fait la lumière sur les évènements qui se sont déroulés lundi et mardi dernier. Le maire Anthony Dighambong indique que l’un de ses conseillers municipaux a été abattu par l’armée, ainsi que trois autres civils. Des maisons ont été incendiées par la communauté musulmane qui protestait contre la mort d’un soldat originaire de leur tribu. Les avocats et Ongs condamnent ce massacre, et demandent l’ouverture d’une enquête.
Jeudi 21 Octobre, 8h. À plusieurs reprises, nous essayons de joindre le maire de la ville de Wum au téléphone, mais la ligne est toujours occupée. Anthony Dighambong va lui-même nous rappeler dix minutes plus tard. « Vous-même vous voyez comment je suis sans cesse appelé au téléphone. Depuis les incidents de lundi et mardi dernier, les autorités de Yaoundé m’appellent tout le temps. Pour le moment je ne peux rien vous dire. J’ai la tête qui chauffe. Il faut appeler le responsable de la communication de la mairie. Il va vous donner les dernières informations sur ce qui se passe à Wum », dit-il avant de s’excuser poliment et de raccrocher le téléphone.
En clair, le maire subit des pressions, car l’armée a commis de graves bavures. Le gouvernement qui jusqu’à présent n’a publié aucun communiqué, tenterait soit de minimiser l’affaire, soit de l’étouffer, ou de donner une version erronée. Le préfet du département de Wum Abdoullahi Aliou est rentré ce jeudi matin précipitamment d’un voyage pour déployer des militaires dans toutes les rues.
Le mouvement de protestation que devaient organiser ce matin les femmes de la ville pour dénoncer ces tueries a été interdit à la dernière minute. Des militaires sont postés dans chaque rue pour réprimer toute forme de contestation.
Ojong Stephen, le responsable de la communication de la mairie de Wum, explique ce qui s’est passé. « Dans la matinée de mardi 19 Octobre, l’armée a tiré sur quatre civils, parmi lesquels un conseiller municipal et son voisin. L’armée reproche au papa du conseiller municipal, qui est un très grand marabout, de faire des « blindages » aux séparatistes pour les rendre invulnérables aux balles des militaires lors des conflits. Dans un esprit de vengeance, ils ont tué le conseiller municipal qui était accompagné de son voisin à 12 km de Wum. L’autre jeune homme tué est menuisier. Il nous est rapporté que lorsqu’on l’a interpellé, il a essayé de s’enfuir et les militaires ont tiré sur lui. Le quatrième a été retrouvé découpé par les éléments de l’armée. Selon ce qu’on m’a dit, ce dernier est soupçonné d’être un combattant séparatiste. Comme on tire sur lui et que la balle ne traverse pas, les soldats l’ont découpé. Et enfin le papa brulé vif a l’intérieur de sa maison par les manifestants musulmans. On a un bilan de 6 morts au total. Inclus le soldat tué. C’est en fait une répression trop violente de l’armée. »
Le soldat tué et les maisons brûlées.
Ojong Stephen explique que dans la journée de lundi 18 Octobre, un jeune soldat a été tué, vraisemblablement dans un accrochage avec des séparatistes anglophones. « Le soldat était un musulman qui a épousé une jeune fille Mbororo qui habite ici à Wum. Lorsque le décès du soldat a été connu d’eux, les musulmans et la belle famille du militaire ont décidé de brûler toutes les maisons des suspects séparatistes qui habitent à Wum. Dans les incendies, un habitant a été brûlé vif. Il s’agit d’un homme âgé », explique le porte-parole de la mairie.
La mairie, la préfecture et la sous-préfecture ainsi que toutes les autres autorités administratives locales, reprochent aux militaires de n’être pas intervenus pour stopper les musulmans lorsqu’ils ont commencé à casser les motos et brûler les maisons. « Tout se passait non loin du camp militaire. Pourquoi les militaires ne sont pas sortis pour stopper cette vague de violence ? On n’en serait pas arriver là s’ils étaient intervenu à temps », regrette Ojong Stephen.
Silence inquiétant du ministère de la défense
Connu pour ses promptes réactions lors des dérives commises par les éléments de l’armée en régions anglophones jusqu’à présent, le chef de division communication, Cyrille Serge Atonfack Guemo, n’a publié aucun communiqué officiel pour donner la version officielle des évènements qui se sont déroulés à Wum.
Une attitude qui dérange, parce qu’il est impossible pour les journalistes de se rendre dans cet arrondissement de Bamenda, chef-lieu du département de la Menchum, en raison de l’insécurité qui y règne. Les journalistes sont donc obligés de s’en tenir à la version des faits donnée par les responsables administratifs locaux, mis sous pression ces derniers jours par Yaoundé, ce qui les obligent à être de moins en moins ouverts pour donner tous les détails et précisions sur ces événements. D’autant plus qu’ils concernent les militaires.
Véritable carnage
Le journaliste Mua Patrick Mughe qui travaille pour The Guardian Post, basé à Bamenda, dans son enquête publiée le mercredi 20 Octobre, parle d’un « véritable carnage à Wum ». Selon lui, il s’agirait d’un raid militaire qui a entraîné la mort de ces civils, dont l’un est resté coincé dans les décombres lors de l’incendie. Une attaque orchestrée par l’armée pour venger la mort d’un soldat et que les autorités tenteraient de déguiser.
Le journaliste dans son enquête précise que les habitants exécutés n’auraient rien à voir avec ceux qui ont tué le soldat. Pour lui il s’agit d’une bavure, car la mission de l’armée n’a jamais été de massacrer une population qu’elle est appelée à protéger.
Jude Viban, le président de l’association des journalistes d’expression anglaise (CAMASEJ) basé aussi a Bamenda, va dans le même sens. «Partir de Bamenda pour Wum est presque impossible à cause des nombreuses barrières de l’armée et des séparatistes, cela ne nous permet pas d’aller vérifier pour avoir la bonne information. Mais ce qu’on sait, c’est que la population de Wum est meurtrie en ce moment, terrorisée par une armée sensée la protéger », conclut-il.
Ouvrir une enquête indépendante
« Seules des enquêtes impartiales sérieuses et indépendantes pourront dévoiler les auteurs de cet acte odieux », a souhaité Gaby Ambo, président de l’Ong Finders Group Initiative (FGI) basé à Bamenda.
Pour Jean Claude Fogno, coordonnateur de l’Ong Mandela Center, selon le droit international des droits de l’homme, l’Etat est détenteur des obligations, et donc a la responsabilité de protéger les droits de l’homme. C’est lui qui a formé le soldat et lui a donné un fusil. Il avait la responsabilité de bien le former avant de l’envoyer sur le terrain. Sur le plan pénal, la responsabilité incombe à l’auteur de l’acte. Mais l’Etat, ou plus précisément le ministère de la défense, est civilement responsable des actes commis par ses agents et a la responsabilité d’assumer les torts qui sont commis dans le cadre des interventions des soldats.
Un avis qui va dans le même sens que la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, donc l’article 4 rappelle que « tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne ».
Hugo Tatchuam (Jade)