Les femmes Mbororos peinent à s’exprimer en public

Pour elles c’est un gros défi

Renfermées sur elles-mêmes et pas encouragées, les femmes Mbororos subissent encore des contraintes qui les empêchent de prendre aisément la parole en public. Un désavantage qui ne leur permet pas de jouir pleinement de leurs droits et de participer aux débats sur les affaires publiques.

A l’installation du Ardo (chef) de la communauté Mbororo de Nkongham à Bangangté, Oumarou Lagou, le samedi 19 février 2022, aucune femme n’a eu droit à la parole. Cette situation a été observée la veille, lorsque, face aux journalistes qui voulaient s’enquérir des moyens qu’elles utilisent pour avoir de l’eau potable, aucune d’elles n’a voulu s’exprimer. Approchées par des reporters, elles baissaient la tête. Cette réalité se ressent dans tous les domaines de la société où ces femmes peinent  à occuper les devants de la scène et à participer aux débats sur les affaires publiques. Pourtant, selon la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), article 19 sur la liberté d’expression et d’opinion : « la femme est libre d’exprimer ses opinions dans tous les domaines de la vie en société ». Aussi, dans son article 17 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, il est énoncé que : « les femmes ont le droit de vivre dans un environnement culturel positif et de participer à la détermination des politiques culturelles à tous les niveaux ».     

LA CULTURE, UN BLOCAGE POUR L’EXPRESSION DE LA FEMME

Pour Amina Moussa, en service à la communauté urbaine de Bafoussam, c’est un problème qui est lié à l’éducation et à la socialisation des femmes Mbororo. « Je pense que c’est d’abord un problème d’éducation dès le bas âge. Les parents leur apprennent à être réservées, ce qui fait qu’elles sont renfermées sur elles-mêmes », a-t-elle soulignée. Mais surtout, elle estime que ce phénomène tire son prétexte dans leur culture, qui accorde une place prépondérante à l’homme au détriment de la femme, en la renvoyant au second plan. « C’est la culture qui est à l’origine de tout cela,  parce que les parents veulent qu’on garde nos mœurs. Selon eux, une femme doit être calme, posée, respectueuse envers son mari. Elle ne doit pas parler en public devant un homme. C’est cette valeur là que nos parents veulent qu’on préserve. Nous sommes en Afrique et chaque communauté  aimerait garder sa culture », a-t-elle ajouté.

Cette conception est soutenue par le président national de l’association Mboscouda (Mbororo social and cultural development association), Amadou Amadou, qui explique que cette pratique repose sur le respect d’un code de conduite de la communauté Mbororo. « Chaque société est régie par un code de conduite et les Mbororos en ont un également : c’est le « Pulaaku ». C’est l’ensemble des comportements qui régit l’homme et la femme Mbororos. Et parmi ces comportements il y a la pudeur. Et qui dit pudeur dit également réserve », a-t-il indiqué. Néanmoins, il souligne que grâce à des actions qui sont menées par l’association Mboscouda pour l’émancipation des femmes Mbororos, des progrès sont en train d’être observés dans plusieurs secteurs, notamment dans les médias.  « Cette réalité est en train de changer. Parce que nous avons presque trois journalistes qui travaillent dans différents médias. Par exemple à la Crtv News, il y a Rainatou Sali ; à Canal2, nous avons Hadja Mairamou, qui a même remporté le prix de la meilleure présentatrice, et leurs cadettes à l’instar de Aissatou Baoro. C’est vous dire qu’il y a une évolution », a-t-il ajouté.

LES DIFFICULTES DU MINISTERE DE LA PROMOTION DE LA FEMME ET DE LA FAMILLE

Malgré la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui stipule dans son article 2 (e), que les Etats parties s’engagent à : « prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou entreprise quelconque », l’Etat du Cameroun, à travers ses ministères des Affaires sociales et de la Promotion de la femme et de la famille, peine à mettre sur pied une véritable politique qui permet de favoriser l’épanouissement des jeunes filles et femmes Mbororos. Pour  le Délégué régional du ministère de la promotion de la femme et de la famille, M. Zouafo Jean Claude, cette difficulté trouve sa justification dans les ressources limitées, mais surtout dans le caractère autarcique de cette communauté. « C’est un problème délicat parce que ce sont des communautés qui vivent un peu en autarcie. Elles sont généralement renfermées.

Il n’est pas souvent évident de les pénétrer pour pouvoir mener une action quelconque. Et quand même vous voulez mener une causerie éducative avec ces femmes, il faut que vous ayez l’aval du chef de communauté, qui généralement est un homme. Et il faut parfois le convaincre que ce que vous venez dire ne va pas empiéter ou perturber le fonctionnement « harmonieux » de leur communauté. Et parfois il faut être assez subtil. Quand vous allez là-bas en tant qu’un homme ça devient difficile pour eux d’accepter qu’un homme vienne parler aux femmes. On est parfois obligé d’envoyer les collaboratrices pour aller dans ces communautés négocier avec le chef de la communauté pour qu’il nous permette d’entrer dans cette communauté.  Et quand vous parlez aux femmes ils veulent s’assurer que ce que vous dites ne va pas les amener à se révolter. C’est un processus qui est assez délicat et difficile que nous essayons d’engager à notre niveau avec les ressources que nous avons. Mais c’est vraiment difficile », a-t-il expliqué.

Nacer Njoya (JADE)

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