En menaçant de fermer Equinoxe tv. L’Etat viole les accords internationaux sur la liberté d’expression

Le ministre de l’Administration territoriale a servi en une semaine deux « convocations administratives » à un journaliste et au Pdg de Equinoxe tv. Le gouverneur de la région du littoral a ensuite adressé une lettre à la télévision dans laquelle il la menace de  fermeture. Pour les juristes, tous ces actes sont posés en violation des « traités internationaux contraignants » ratifiés par l’État du Cameroun, qui interdisent « toute forme d’intimidation ».

« Le traitement professionnel de la grève des enseignants en cours en ce moment est la source de nos problèmes ». C’est ce qu’a affirmé ce mardi matin du 22 mars 2022 Séverin Tchounkeu, le président directeur général de la télévision Equinoxe dans son bureau. Un traitement qui visiblement ne plaît pas du tout au ministre de l’Administration territoriale.

Le ministre Paul Atanga Nji l’a fait savoir la semaine dernière. Il a adressé une « convocation administrative » au journaliste rédacteur en chef Cédric Noufele d’Equinoxe, l’invitant à se présenter dans son bureau le mardi suivant. Cedric Noufele que nous avons rencontré affirme qu’il « avait du travail et qu’il n’avait pas le temps d’y aller. C’est son patron qui a rencontré le ministre ».

«Paul Atanga Nji a tout d’abord refoulé mon patron, en disant que c’est Cedric Noufele qu’il veut rencontrer personnellement et non lui. » Ensuite il a dit qu’il voulait me réprimer sur ma manière de traiter le sujet de la grève des enseignants dans les journaux télévisés. « Le ministre estime que j’ai un ton trop dur contre le gouvernement,  je donne trop la parole aux enseignants grévistes qui réclament de meilleurs conditions de travail, et ne montre pas assez ce que fait l’Etat », affirme Cedric Noufele.

Au milieu de la semaine, le ministre va adresser une deuxième « convocation administrative », cette fois au nom de Séverin Tchounkeu le patron de la télévision.  Il lui est aussi reprocher de donner trop la parole aux enseignants grévistes, et aux professeurs d’universités, qui tirent à boulet rouge sur l’État dans les émissions de débat du week-end comme « Droit de réponse ». Le ministère de l’Administration territoriale donne « l’injonction » à Equinoxe télévision « de corriger tout cela ».

Le gouverneur écrit ensuite à Equinoxe tv

Le 16 mars, le gouverneur de la région du Littoral, Samuel Ivaha Diboua, a officiellement écrit au président directeur général de Equinoxe télévision l’accusant de vouloir organiser une « révolte populaire ». Le gouverneur affirme que dans l’émission de débat « Droit de réponse» du dimanche 28 février, les critiques avaient pour but « d’obstruer les efforts du gouvernement dans la recherche d’une issue heureuse à la crise des enseignants ». Il menace de fermer la télévision si ces critiques se répètent.

Severin Tchounkeu s’explique

Dans une intervention télévisée du 21 mars, au lendemain de la réception de la lettre du gouverneur, le président directeur général de la télévision Equinoxe a ouvertement montré son mécontentement face aux méthodes utilisées par le ministre de l’Administration territoriale. Il a démontré que la lettre a été écrite par le ministre lui-même et que le gouverneur est « juste le signataire ». Il indique qu’aucun de ses  panélistes  n’a appelé les élèves et parents d’élèves à descendre dans la rue. Pour lui, « Equinoxe est plus républicaine que ceux qui veulent fermer les télévisions, car grâce aux débats, le chef de l’Etat a demandé que les dossiers des enseignants soient traités dans l’urgence ».

Colère des journalistes

Le journaliste Alex Gustave Azebaze affirme que la personne indexée par le gouverneur d’avoir tenu des propos durs dans l’émission « droit de réponse » c’est le professeur Messanga Nyamding, membre du comité central du rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Il est en conflit depuis plusieurs années avec le ministre Paul Atanga Nji et la hiérarchie du Rdpc.

« Si les dirigeants estiment que Messanga Nyamding qui est adulte et responsable de ses propos, va au-delà de la ligne de soutien au président Paul Biya président national du parti, qu’on l’interpelle, et si nécessaire qu’on prenne des sanctions politiques prévues par les textes du parti. Mais penser que ce sont les médias qui doivent le censurer, est totalement lâche voire irresponsable », affirme-t-il. Pour lui, Equinoxe n’a fait aucune erreur professionnelle.

D’autres confrères rappellent que le ministère de la Communication assure une veille médiatique et ont les dispositifs de monitoring susceptibles de déceler même les erreurs techniques. Ils ne voient pas pourquoi c’est  le ministère de l’Administration territoriale qui trouve qu’Equinoxe tv est en dérive.  Par ailleurs il existe le conseil national de la communication qui sanctionne les médias.

Violation des traités internationaux contraignants 

Pour l’avocat au barreau du Cameroun, Me Minou Sterling, les actions menées par le ministre de l’Administration territoriale et le gouverneur de la région du Littoral violent les traités internationaux contraignants ratifiés par le Cameroun sur la liberté d’expression.

 Il s’agit tout d’abord de l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».

Ensuite l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui précise que tout « le monde a droit à l’information ».

Me Natchou Tchoumi, un autre avocat au barreau, parle de la violation grave de la constitution camerounaise. « La constitution reconnait la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse. Il est donc inadmissible que ces droits reconnus soient violés par les ministres censés les défendre », s’indigne l’avocat.

Les autres juristes vont dans le même sens. Ils se demandent comment le ministère de la Communication qui est l’organe de tutelle des médias, et dont le ministre René Emmanuel Sadi a fait le tour des médias privés récemment, peut laisser le ministre de l’Administration territoriale faire des erreurs graves pareilles.

Hugo Tatchuam (Jade)

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