Inculpé en 2020 pour « sécession et complicité avec un gang armé », le journaliste anglophone est détenu au « secret » à la prison centrale de Kondengui en attendant son jugement. Il faut une autorisation speciale du tribunal militaire pour le rencontrer. Les ongs exigent qu’il soit jugé « dans un délai raisonnable » comme le recommandent les conventions internationales.
Ce 11 Avril 2021 le journaliste Roger se présente à la prison centrale de Kondengui, et demande à rencontrer le journaliste Kingsley Fumunyuy Ndjoka placé en détention provisoire depuis deux ans. Les gardiens de prison lui demandent d’aller chez le commissaire du gouvernement au tribunal militaire de Yaoundé pour chercher une autorisation.
Arrivé au tribunal militaire, il est demandé au journaliste Roger d’écrire une lettre de demande de visite adressée au commissaire du gouvernement et d’aller attendre à la maison le jour où on va l’appeler pour lui répondre. Ce qu’a fait le journaliste.
« visites filtrées »
Jean Claude Fogno le secrétaire exécutif de l’ong international « Mandela Center » affirme que la même rigueur est appliquée pour pratiquement tous les visiteurs qui souhaitent voir le journaliste Kingsley. « Parce qu’il est sous le coup de la loi antiterroriste, les autorités judiciaires filtrent les visites, pour recentrer la pression sur ce prévenu ».
« Moi-même qui suis d’une ong internationale, je n’ai pas réussi à rencontrer Kingsley Fumunyuy Ndjoka depuis qu’il est en prison. On te dit de faire la demande écrite, tu la fais, tu vas attendre et on ne t’appelle jamais. Même l’avocat du journaliste n’a pas si facilement accès à lui » explique Jean Fogno.
Un dossier qui n’avance pas
Selon Mandela Center, depuis deux ans, le dossier du journaliste est toujours à l’information judiciaire. Il ne sait même pas quand il sera jugé. « la situation s’est compliquée ces derniers jours avec l’inculpation de Me Amungwa Tanyi Nicodemus pour sécession dans le cadre d’une information judiciaire ouverte contre lui. Me Amungwa est l’avocat du journaliste Kingsley. Depuis son inculpation, le defrenseur du journaliste a cessé de suivre de manière sérieuse le dossie, le tribunal militaire ayant décidé de le juger pour une histoire d’images et photos retrouvées dans son téléphone. Au fond, tout le monde sais que l’Etat veut nuire aux avocats qui défendent les détenus ayant un lien avec la crise anglophone. Donc en ce moment, il y a une brouille au sujet du suivi du dossier judiciaire du journaliste Kingsley Ndjoka. L’avocat n’a plus le moral pour pouvoir mettre la pression sur le ministère de la justice comme il le faisait au début, parce que lui-même est en conflit avec pratiquement tous les magistrats du tribunal militaire. Il y a un climat de tension, qui ne facilite pas la gestion de ses dossiers devant les tribunaux » indique l’ong Mandela Center.
Autre chose, au tribunal militaire, parle du dossier comme si tout avait déjà été bouclé, alors que le journaliste n’est même pas encore jugé. « Le journaliste est reconnu coupable par les autorités militaires avant d’être jugé par un tribunal indépendant. Les autorités militaires ont déclaré qu’il était un véritable logiciel des gangs séparatistes .Une affirmation qui viole le droit de la présomption d’innocence. Les outils de travail du journaliste ont été confisqués et c’est sur la base de ces outils qu’il est présenté comme terroriste. Le fait aussi qu’il soit jugé par un tribunal militaire constitue aussi une violation de ses droits » mentionne Me Amungwa Tanyi Nicodemus, l’avocat de Kingsley Ndoka.
Dans le même ordre d’idée, plusieurs hauts gradés de l’armée ont indiqué que durant son audition, Kingsley Ndjocka aurait reconnu être le coordonnateur d’un groupe armé séparatiste dans le département du Bui dans le nord-ouest, le présentant comme la plaque tournante de la livraison d’armes aux séparatistes armées par la diaspora anglophone.
Des accusations réfutées par le journaliste qui affirme être poursuivi parce qu’il était membre de plusieurs foras whatsapp dans lesquels figurent des activistes pro-séparatistes. Il dénonce surtout le fait de n’avoir pas encore eu l’occasion de présenter sa défense devant un juge.
Musèlement du journaliste depuis le début
Mandela Center est la seule Ong à avoir retracé l’enlèvement du journaliste Kingsley à Douala le 15 mai 2020. Enlevé à son domicile, sans aucune annonce à sa famille, il est conduit à la brigade de recherche de Ndobo à Bonaberi, ensuite transféré à la délégation régionale de la sureté nationale à Bonanjo-Douala. Il est ensuite déporté à Yaoundé, au centre du renseignement militaire où il est détenu au secret pendant 23 jours, avant d’être conduit au service central des recherches judiciaires du Secrétariat d’Etat à la Défense pour « exploitation approfondie ». « Accusé de parrainer les mouvements séparatistes dans les régions anglophones, le journaliste est difficile d’accès depuis le début du fait de nombreuses tracasseries », reconnait Mandela Center.
Faible mobilisation
En outre, Il n’y a pas de synergie assez forte entre les syndicats pour soutenir le journaliste Kingsley » affirme Aristide Ekambi, le président régional du Littoral du syndicat national des journalistes du Cameroun. « Kingsley avait été enlevé à Douala, suspecté d’être d’attache avec les mouvements sécessionnistes. Au début le syndicat avait sorti un communiqué pour dénoncer les raisons de son arrestation. Ensuite il était même tombé malade en prison. Le syndicat avait organisé une quête pour le soutenir. Depuis là, nous avons relâché la pression, à cause de l’absence de synergie entre ongs » poursuit Aristide Ekambi.
Le réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) a aussi donné de la voix au début de cette affaire. Depuis deux ans, aucune démarche n’a été entreprise pour assister le journaliste.
« Le gouvernement réprime durement les ongs qui critiquent l’action gouvernementale dans les régions anglophones. C’est pour cette raison que les associations de droits de l’homme deviennent méfiantes » a précisé, dans l’anonymat, un président d’Ong.
Violation des droits du journaliste
Qu’il soit terroriste ou pas, le journaliste doit bénéficier d’un procès équitable comme le recommande l’article 7 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. « Toute personne a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale », « le droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
Hugo Tatchuam(Jade)