Près de 10 000 militaires, gendarmes et policiers sont morts dans les combats en régions anglophones et contre Boko Haram dans l’Extrême-Nord. La plupart de ces jeunes soldats ont laissé femmes et enfants mineurs, qui ne reçoivent pas toujours, une pension de la part de l’Etat, pour leur éducation et leur santé. Le ministère de la défense donne la procédure à respecter par ces familles pour bénéficier de la prise en charge de l’Etat.
Matoufan Oumarou âgé de 26 ans, (nom d’emprunt pour souci d’anonymat) jeune adjudant dans la gendarmerie, est décédé le 24 juillet 2015 dans une attaque de Boko Haram à Sagmé à une dizaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria. Un rapport de la police, confirmé par plusieurs sources locales, a fait état de la mort de huit soldats, parmi lesquels le jeune Oumarou.
Oumarou avait moins de quinze ans de service dans la gendarmerie, comme toutes les nouvelles recrues qu’on envoie sur le front de guerre à leur sortie des centres de formation. La famille de Oumarou habitait à Bertoua dans la région de l’Est. Il était père de quatre enfants, avec une jeune épouse âgée de 22 ans. Après son décès, le ministère de la Défense a remis à la famille un cercueil, fournit un camion pour transporter le corps à enterrer au village. Aucune pension n’a été remise à la jeune veuve pour assurer l’éducation et la santé de ses enfants jusqu’à l’âge adulte comme l’exige de nombreuses conventions internationales. Après l’inhumation d’Oumarou, sa veuve a été rejetée par sa famille. Elle s’est rabattue sur la ville d’Ebolowa dans la région du Sud où elle partage une chambre avec l’une de ses copines d’enfance. La petite activité commerciale qu’elle a engagée n’étant pas suffisante pour subvenir aux besoins de ses enfants, elle est obligée aujourd’hui de se livrer à la prostitution pour joindre les deux bouts.
Dans la gendarmerie, lorsque le soldat meurt avec moins de quinze ans de service, sa veuve et ses orphelins ne reçoivent aucune subvention financière. Pourtant l’Etat prélève chaque mois dans son salaire des cotisations sociales reversées à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). Pourquoi ne paye-t-on pas cette pension à la famille du soldat après son décès ? Véritable incompréhension.
Chez les militaires, on donne 3 millions le jour de l’enterrement
Atangana Iche (nom d’emprunt), jeune adjudant de 32 ans à la brigade d’intervention rapide (Bir), est marié, père de 5 enfants, tous mineurs. Il totalise plus de 15 ans de service dans l’armée. Il a travaillé dans presque toutes les zones de conflit depuis le début de sa carrière. En 2016, il est mort lors de deux attaques perpétrées par des groupes séparatistes actifs dans les régions anglophones dans un village du département du Lebialem. Une information confirmée par le préfet du Lebialem, William Ekema. Deux autres militaires ont aussi été tués dans cette embuscade suite au déclenchement d’un engin explosif.
Le jour de l’enterrement de Atangana dans son village natal dans la région du Sud, sa hiérarchie a remis une enveloppe de trois millions de Fcfa à son épouse, en plus de la fourniture du cercueil et d’un camion pour transporter la dépouille. « La belle-famille a réclamé sa part dans cet argent. Finalement la veuve est restée avec moins d’un million de Fcfa. Que va-t-elle faire avec ça avec une charge de cinq enfants ? », s’est interrogé un proche de la famille.
Jusqu’à ce jour, l’Etat n’a pris aucune mesure pour aider les 5 enfants du soldat qui sont tous mineurs, ou encore la veuve qui est toute jeune et qui a encore son avenir à assurer.
Des voix s’élèvent pour dénoncer cette irrégularité.
Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, avait proposé une loi sur les « pupilles de la Nation » pour permettre aux enfants mineurs orphelins des éléments des forces de défense et de sécurité tombés au front de bénéficier jusqu’à leur majorité d’un soutien de l’Etat pour leur éducation et la prise en charge de leurs soins et santé. Cette proposition n’a pas retenu l’attention du régime.
Certains députés à l’Assemblée nationale, se sont inquiétés de l’indifférence de la Nation vis-à-vis des pupilles de la nation qui se sentent aujourd’hui exclus. « Pourquoi la Nation ne peut pas faire un petit effort pour les enfants de ceux qui se sont sacrifiés pour elle? Comme le disait le philosophe : quand la Nation protège ses élites, mais qu’elle ne prend plus soin de ses enfants, alors elle est en danger ».
Les parlementaires proposent qu’on évalue le nombre exact de soldats morts au front en ce moment pour faire pression sur le ministère de la Défense et calculer le montant des indemnisations. Pour l’heure, on estime ce nombre à plus de 10 000. Et la situation ne cesse de s’aggraver en régions anglophones.
Le ministère de la Défense donne la démarche à suivre
Les cadres du ministère de la Défense pensent que les gens n’ont pas la bonne information, et invitent les familles concernées à respecter la procédure. Ce mercredi 29 juin, nous avons interrogé le chef de la division de la communication du ministère de la Défense, le capitaine de vaisseau Cyrille Serge Atonfack Guemo, sur la question de l’indemnisation des orphelins et conjoints des soldats tombés au front. Il indique que « ce genre de question se traite au ministère de la Défense, à la direction des affaires administratives et réglementaires (DAAR) ».
Le colonel Mbang Minlo commandant de la légion de gendarmerie de l’Ouest à Bafoussam affirme que contrairement à ce qui se dit, le ministre délégué à la présidence de la république chargé de la défense, Joseph Betis Assomo, est très regardant sur cette question pour éviter des cas de corruption.
« Lorsqu’un soldat meurt, le ministère de la Défense donne à la famille une somme d’argent pour pouvoir organiser les obsèques. Après il faut aller à la DAAR, un service du ministère de la Défense. Là-bas vous allez constituer un dossier pour la prise en charge des enfants du soldat décédé, « les pupilles de la nation ». L’Etat les prend en charge pour le reste de leur vie, pour les soins de santé, d’éducation, quand on lance aussi les concours de l’armée, ils sont prioritaires. Que les familles des soldats décédés s’adressent au secrétariat aux anciens combattants et victimes de guerre pour prendre les dossiers, les remplir et les acheminer à la DAAR. Dès que le dossier est traité on te dit comment tu vas percevoir la somme qui te revient, comment va se passer la prise en charge pour les maladies des enfants ainsi de suite », affirme le colonel Mbang Minlo.
Il ajoute ensuite que le code des pensions militaires précise que « tout orphelin de guerre peut percevoir une pension spécifique jusqu’à son 21 e anniversaire ».
Non-respect des accords internationaux, selon les ONGS
Les principes et directives sur les droits de l’homme et des peuples dans la lutte contre le terrorisme en Afrique, une convention ratifiée par la Cameroun, précise que « les femmes et enfants des soldats tués sont des victimes secondaires et ont droit à l’indemnisation et la prise en charge de l’Etat ». Les familles des jeunes recrues de l’armée, qui décèdent en ce moment dans les régions anglophones, ont fortement besoin de cette précieuse assistance en ce moment.
Hugo Tatchuam (Jade)