Les dockers du port de Douala doivent payer pour se faire embaucher, puis soudoyer au quotidien les chefs d’équipes pour être maintenus. Même geste pour qui veut être affecté à des tâches plus lucratives ou moins dangereuses. Une pratique surprenante pourtant connue par l’employeur, qui prétend combattre le mal sans succès.
Les dockers du port de Douala doivent payer pour se faire embaucher, puis soudoyer au quotidien les chefs d’équipes pour être maintenus. Même geste pour qui veut être affecté à des tâches plus lucratives ou moins dangereuses. Une pratique surprenante pourtant connue par l’employeur, qui prétend combattre le mal sans succès.
Les jours se suivent et se ressemblent au port de Douala. Il est 6h du matin ce mardi. A peine le jour s’est-il levé que la cour du centre d’embauche du Groupement des professionnels des acconiers du Cameroun (Gpac) est noire de monde. Tout passant doit se frayer un chemin dans cette marée humaine d’environ 3 400 dockers. C’est l’heure de ce qu’on appelle ici « la grande relève ». Chaque docker doit se faire enregistrer et surtout s’assurer qu’il a été retenu et affecté à un bateau stationné à quai soit par le répartiteur soit par le chef d’équipe. Ici, beaucoup d’appelés, peu d’élus. Les mécontents piaffent et reprennent la route de leur domicile.
« L’argent est roi ici », à en croire des témoins. « Je respecte ceux qui n’ont personne ici », lance Roland, qui doit sa place de pointeur à un proche haut placé. Les laissés-pour-compte doivent, même après avoir été retenu, « négocier » à coups de bakchich pour ne pas être affecté à des tâches difficiles comme porter des sacs de riz ou encore travailler dans la calle du bateau entre autres.
5000 à 15 000 F cfa de bakchich
Les montants des pots-de-vin varient de 5 000 à 15 000 F cfa, en fonction du secteur. La sacherie reste le secteur le plus prisé pour son caractère très lucratif. « Même en période haute comme en ce moment, il y a des dockers qui pour n’avoir pas payé, restent sans travail », soutient Roland. En période de baisse d’activités où très peu de bateaux accostent, les enchères augmentent encore plus. Seuls les plus offrants parviennent à tirer leur épingle du jeu. Les moins disant doivent se contenter de travaux nuisibles à leur santé. « Il y a un docker qui est mort avant-hier ici, sans avoir eu à toucher son premier salaire », regrette Judith, vendeuse de nourriture à l’entrée du centre d’embauche. « Quand les dockers viennent manger ici, ils se plaignent beaucoup que c’est trop dur là-bas dedans. Il y a un autre qui travaillait dans le bateau, une bille de bois a coincé sa tête et sa mâchoire a eu des problèmes, il est même à l’hôpital », poursuit-elle.
Le trafic d’influence et les recommandations remplacent souvent l’argent de la corruption. « Parfois tu viens, pendant que tu tends ta carte, le chef d’équipe choisi certains parmi vous qu’il affecte à des tâches spécifiques sans que vous ne compreniez comment », raconte Joseph. « Parfois les instructions viennent d’en haut (Ndlr : en référence au secrétariat du Gpac) », se dédouane sous anonymat un chef d’équipe.
Une vingtaine de personnes licenciées
Le GPAC qui gère l’activité des dockers au port de Douala reconnaît le phénomène. Dieudonné Onana, son secrétaire général, a ainsi publié en avril dernier une note de service dénonçant ces pratiques. La note fait interdiction aux chefs d’équipe d’« embaucher les travailleurs en fonction de leur générosité financière et prévoit des sanctions pour tout contrevenant. « Toute tentative de corruption à l’embauche exposera son auteur à de sévères sanctions disciplinaire », conclut la note. Selon Dieudonné Onana, une vingtaine de personnes aurait été licenciée pour ces motifs l’an dernier, sans que cela ne change.
Les responsables d’embauche débordent d’astuces pour contourner les procédures de recrutement prévues, afin de continuer à entretenir le monnayage des places. Contrairement à ce qui est prévu, ils rechignent à faire parvenir les prévisions d’embauche des acconiers au Centre d’embauche la veille. « Nous allons sévir, à chaque fois que nous aurons une preuve de monnayage au bureau d’embauche et d’ailleurs, ils le savent « , soutient le Secrétaire général du Gpac.
« Les méthodes employées pour éradiquer la corruption dans ce secteur ne sont pas efficaces », pense le sociologue Dooh Collins. Selon lui, le GPAC devrait mettre en place un mécanisme de lutte contre la corruption, qui permettrait aux responsables de l’évaluer à chaque fois sur la base des indicateurs clairement définis en amont. « Les différents dirigeants sont davantage complices de ce qui s’y passe en tant que garant du mieux-être des travailleurs », accuse Dooh Collins.
Paul- Joël Kamtchang (JADE)
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