(Syfia Tchad) Le 23 novembre, l’état d’urgence a été prolongé de six mois à N’Djamena. Dans les banlieues de la capitale tchadienne, des jeunes seraient arrêtés et enrôlés de force en vue d’une offensive qui se veut décisive contre les rebelles de l’est du pays. La peur règne à nouveau sur la ville.
La nuit est tombée sur N’Djamena, la capitale du Tchad. Parti à la recherche de son frère Youssouf, porté disparu depuis 4 jours, Alhadj Djibrine rentre une fois encore bredouille ce samedi 25 novembre 2006. « Mon grand frère n’a pas l’habitude de dormir dehors. Aujourd’hui comme hier, j’ai fouillé partout, sans laisser ni un commissariat ni un hôpital. Mais rien !« , confie-t-il, l’air soucieux. À peine a-t-il terminé sa phrase qu’un ami du disparu arrive et lâche : « Youssouf est à Pont-Belilé. Il fait partie des jeunes qu’on a enrôlés de force dans l’armée. Un parent militaire l’a vu là-bas en tenue de combat. »
Situé à 20 km à la sortie nord de la capitale, le quartier Pont-Belilé, qui abrite la résidence privée du président Idriss Déby est le nouveau QG (Quartier général) de l’armée. Dans cette zone à l’écart de la ville, interdite aux civils, de nombreux jeunes raflés à N’Djamena seraient regroupés et enrôlés en complément d’effectif dans un nouveau régiment de 800 hommes. Selon Djidda Saleh, un officier de l’armée nationale, ce régiment en cours de création jouera un rôle déterminant pour contrer les rebelles de l’Est, qui ont lancé une offensive fin octobre. « D’anciens officiers et d’anciens guérilleros redoutables sont sollicités pour faire partie de ce régiment qui aura en son sein un escadron blindé et un escadron léger« , explique-t-il. Ce régiment est mis en place par le général Mahmat Saleh Brahim, oncle paternel du président Déby.
Une ville au ralenti
N’Djamena vit au ralenti et dans la peur, depuis l’état d’urgence décrété le 13 novembre et prolongé de six mois le 23 novembre dernier. Dans la plupart des quartiers périphériques, il n’y a pas d’électricité et les rues sont désertes dès la tombée de la nuit. « Au-delà de 20 heures, tout le monde se terre chez soi. Les gens ne veulent pas prendre de risques, car de nombreux jeunes sont arrêtés puis enrôlés dans l’armée« , explique ce jeune habitant du quartier Madjorio. D’ordinaire animée le soir, l’avenue EL-Nimery est très calme. Mahamat Mahamoud tient non loin de là un cybercafé : « Voyez la salle : elle est presque vide alors qu’avant, les clients se bousculaient devant les ordinateurs. »
« N’Djamena fait peur aujourd’hui », lance Adoum, conducteur de moto-taxi. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, il ne fait plus que la moitié de sa recette journalière habituelle : « Dès le coucher du soleil, je prends la route de la maison. Je préfère rentrer chez moi que de me faire prendre par les hommes du QG de Pont Bélilé. Je veux être libre. » Dans les cinés-club, les spectateurs regardent désormais les films, la peur au ventre. Au moindre bruit de moteur, c’est le sauve-qui-peut général. « Vendredi dernier, mes petits frères ont échappé de justesse (à une rafle, Ndlr) grâce à leurs jambes, alors qu’ils suivaient un film au quartier Mardjandafack« , rapporte Adelsalam, opérateur de saisie dans une société d’informatique. Des soldats confirment les enrôlements forcés des jeunes gens, mais assurent qu’ils se feraient à l’insu des autorités militaires.
Le gouvernement tchadien a décrété l’état d’urgence à la mi-novembre sur l’essentiel de son territoire, dont la capitale N’Djamena, après une vague de violences entre communautés arabes et non arabes dans l’est du pays, qui avaient fait des centaines de morts, de nombreux blessés et des milliers de déplacés.
Ces tueries sont survenues alors qu’on observait une légère accalmie après de violents combats ayant opposé fin octobre les forces gouvernementales à une nouvelle rébellion, l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD). En septembre, déjà, d’autres combats avaient eu lieu contre les éléments du Front uni pour le changement (FUC) de Mahamat Nour Abdelkerim, qui avaient réussi une incursion à N’Djamena cinq mois plus tôt.
Ngarmbassa Moumine