(Jade Cameroun/Syfia) Dépistage volontaire du VIH-sida, utilisation du préservatif, abandon de la rue, reconversion. Des ex-prostituées sensibilisent leurs sœurs aux dangers du métier et les encouragent à se reconvertir
Échanges francs au siège d’Horizon Femme, une Ong de lutte contre le VIH/sida au quartier Melen à Yaoundé. Attablée avec Denise Ngatchou, la présidente de l’Ong et Cathy Yimta, cadre de la structure, Sylvia, une ex-prostituée reconvertie en éducatrice, raconte ses difficultés de la journée. « Il y a quelques jours, j’ai fait la connaissance d’une fille qui est convaincue qu’elle est séropositive, mais elle refuse le ticket gratuit pour subir le test de dépistage », explique-t-elle. Pourquoi ? « Elle est en larmes et sait qu’elle est malade parce que l’homme marié avec qui elle vivait est mort du sida, suivi quelque temps après par son épouse. Et elle vient de perdre son ami qui payait le loyer. C’est une fille en forme mais malgré des boutons sur le corps, elle refuse de se faire dépister. » Denise Ngatchou recommande alors à Sylvia de se familiariser davantage avec cette jeune femme, puis de lui dire que les tests de dépistage sont confidentiels. « Beaucoup, explique-t-elle, refusent de se soumettre au test simplement par peur que leur entourage soit informé du résultat. »
Des échanges de ce genre ont lieu quotidiennement au sein de l’Ong, dans plus de 35 sites à Yaoundé et 38 à Douala. Horizon Femme a réussi à retirer plusieurs filles de la prostitution pour en faire des éducatrices. Âgée de 25 ans, Sylvia fait partie des douze premières bénéficiaires de cette reconversion. Celles-ci, formées à la sensibilisation sur les dangers de la prostitution et du VIH/sida, y consacrent bénévolement une bonne partie de leur temps en plus de leur nouveau métier. Nicolo, par exemple, vend de la nourriture devant une grande école, Christ tient une cafétéria, Évelyne un salon de coiffure et Awara fait la vente ambulante de produits de beauté. Toute fille qui quitte la rue est orientée vers la vente de vivres, la création de salons de coiffure, la gestion de machines à glace, bref vers une activité génératrice de revenus (AGR) pour laquelle l’investissement n’excède pas 300 000 Fcfa (environ 457 Euros).
Conseillères de santé
Christ, 37 ans, devenue éducatrice, arbore un tee-shirt portant l’inscription « Les filles libres s’engagent : Education-Dépistage-Protection » et porte un cartable marqué « Prévention du VIH/sida et promotion des AGR chez les filles libres de Mini-ferme et Obili (des quartiers de Yaoundé, Ndlr). » Habituées à recevoir des clients plutôt que des conseillères, les filles se soumettent difficilement à ces entretiens. Dès son entrée dans un cabaret, Christ se fait copieusement insultée. « En fait, elles nous rejettent parce qu’elles estiment que nous avons déjà beaucoup d’argent alors qu’elles demeurent dans la rue. En insistant un peu, elles finissent souvent par nous écouter. Ce d’autant qu’elles ont besoin de nos préservatifs« , témoigne-t-elle. Devant un bar, Nicolo, elle, a bien du mal à convaincre une prostituée dont l’esprit est visiblement ailleurs, dans l’attente de clients potentiels. Dépistage et préservatifs gratuits ne semblent pas davantage l’intéresser.
Chaque éducatrice est tenue de réaliser en moyenne huit entretiens par semaine. Selon leurs encadreurs, elles en font toujours un peu plus. Comme en témoignent les fiches de compte rendu : environ un millier en moins de trois mois d’activité. Il s’en est suivi une centaine de dépistages volontaires au Centre Henry Dunant de Douala, qui ont révélé neuf cas de séropositivité. Horizon femmes a emboîté le pas à la Croix-Rouge qui avait lancé un projet similaire un mois auparavant à Douala avant de l’étendre à des quartiers de Yaoundé non encore couverts. Ce projet a permis en trois mois de réaliser 5 800 entretiens, 285 dépistages volontaires, dont 33 positifs.
Des préjugés qui tuent
Mais ces actions d’information se heurtent souvent aux préjugés des prostituées. Certaines, qui doutent de l’existence du sida et de la fiabilité des préservatifs, déchirent les messages sur le sida et les dangers de la prostitution, régulièrement affichés dans les bars et les auberges. L’an dernier a circulé une rumeur sur la saisie, au port de Douala, de plusieurs containers de condoms souillés. « Des filles, rapporte Nicolo, prétendent que les préservatifs sont contaminés ou encore insinuent que c’est notre présence qui donne la malchance du VIH/sida ». Selon Mimi, une autre éducatrice, certaines refusent le dépistage mais elles se disent prêtes à quitter la rue à condition de recevoir un appui financier et une formation.
Ainsi, quarante « filles libres » ont déjà bénéficié de financements de micro-projets grâce au soutien de la Croix-Rouge camerounaise et de ses partenaires. « Elles ont pour la plupart un à cinq enfants et une nombreuse famille à charge », analyse Tonyè Julbert, médecin du Centre Henry Dunant, qui a pour mission principale d’alléger les souffrances des personnes vulnérables. « Elle sont en stratégie de survie. Nous ne les abordons pas avec un œil moralisateur. Nous voulons les comprendre et les aider à se réinsérer. Nous les amenons à comprendre que la vie n’a pas de prix », ajoute-t-il.
François Xavier Eya