(Jade Cameroun/Syfia) A Douala, la police chasse les enfants des rues qu’elle accuse d’être « des criminels de grand chemin ». Elle les abandonne parfois à plus de 50 km. Une stratégie inefficace : faute de moyens de subsistance, les enfants reviennent toujours à leur point de départ…
Un seau d’eau et une éponge en main, Cédric, 13 ans, torse nu et babouches rudimentaires aux pieds, vient d’achever le nettoyage d’un véhicule garé devant une boulangerie de Douala, la capitale économique du Cameroun. Agréablement surpris, le propriétaire, lui glisse quelques pièces. Depuis trois ans qu’il a quitté son domicile familial de Bafoussam (plus de 200 km à l’ouest) pour la rue, Cédric vit de petites tâches (gardien de voitures, porteur de sacs au marché), en compagnie de plusieurs autres enfants à peu près du même âge.
Ces camarades viennent de tous les coins du pays et sont, pour la plupart, issus de foyers polygames. Mais certains ont des itinéraires différents : enfants rejetés car nés hors mariages, accusés de sorcellerie ou issus de couples divorcés, orphelins, gamins appartenant à des familles nombreuses qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins, etc. Beaucoup disent avoir été maltraités dans leurs foyers avant de se décider à fuguer. D’après une enquête diligentée cette année par la délégation départementale des affaires sociales pour le Wouri, Douala compterait à elle seule 1 000 enfants de la rue.
Enfants criminalisés
La nuit tombée, ils dorment à même le sol, sur des cartons et sans couverture, sous des comptoirs de boutiques ou dans des stades de football, à la merci des intempéries et des moustiques. Ils y sont régulièrement surpris par des éléments de la gendarmerie. « Dernièrement, ils nous ont réveillés à coup de matraque, avant de nous embarquer dans un car pour la gare routière de Bonaberi où ils nous ont abandonnés à la périphérie de la ville », se souvient Cédric. Au petit matin, le petit groupe avait regagné à pied son point de départ…
D’autres sont abandonnés plus loin de la capitale. « J’ai cru que les petits avaient subitement été atteints d’une grave crise d’éléphantiasis », se rappelle François Ndjoume, dont le domicile est proche d’un gîte où dorment habituellement ces enfants. Les jeunes en question, qui avaient des pieds très enflés, avaient été raflés la nuit précédente par la gendarmerie et abandonnés à Edéa, à environ 70 km plus loin. Après deux jours de marche, bravant les intempéries, ils étaient de retour à Douala…
Depuis juillet dernier, les éléments de la légion de gendarmerie du Littoral patrouillent la nuit à la recherche de ces gamins qu’ils soupçonnent, à tort ou à raison, d’être à l’origine de vols à la tire et d’agressions physiques. L’opération s’inscrit, selon le chef d’escadron Mbogalé, commandant de cette compagnie, dans une croisade contre la délinquance en milieu urbain. « Ces enfants sont, en majorité, des criminels de grand chemin, soutient-il avant de poursuivre, l’État n’ayant pas assez de structures d’encadrement (il n’en possède aucune à Douala, Ndlr), nous limitons notre action à la dissuasion. Parce qu’il n’est pas aisé de les prendre en flagrant délit pour les traduire en justice« .
L’éloignement, et après ?
Des centaines d’enfants ont ainsi été éloignés du centre-ville en l’espace de deux mois. Parfois dans des contrées très éloignées. Pourtant, leur détermination à regagner leur point de départ ne fléchit pas. « Nous ne pouvons pas rester là-bas, car il nous faudrait encore lutter pour nous faire accepter. Ceux qui s’y trouvent ne vont pas facilement nous admettre parmi eux », justifie Foto, persuadé, comme beaucoup d’autres, que la ville permet de passer plus facilement inaperçu, d’exercer de petits métiers ou encore de faire l’aumône.
« D’accord avec la gendarmerie : la place des enfants n’est pas dans la rue ! Mais est-elle davantage dans la brousse ? Certains sont certes à l’origine de larcins mineurs, mais beaucoup vivent de petits travaux et ne sont pas des délinquants », martèle Daniel Yoghowa, directeur de la chaîne des foyers Saint Nicodème pour l’enfance en difficulté, une structure qui travaille dans l’encadrement et la réinsertion des jeunes de la rue. En l’espace de 10 ans, ces foyers ont accueilli 6 500 jeunes dont près de 4500 ont soit réintégré leurs familles soit exercent un métier ou ont créé leur propre entreprise.
« Nous sommes en train de préparer une triple intervention des mairies, de la police et des affaires sociales pour réintégrer ces enfants dans leur famille », dévoile Béondo Dora Hortense. Pour la déléguée départementale des affaires sociales du Wouri, les structures privées, qui sont une dizaine Douala, ne feraient qu’encourager les enfants à vivre dans la rue. Elle n’a donc nullement l’intention de les associer à ce nouveau plan.
En l’absence de vision et d’action communes, les enfants des rues déplacés risquent fort de continuer à affluer vers la capitale économique.
Christian Locka et Charles Nforgang