Universités : le bilinguisme recalé

(Jade Cameroun/Syfia ) Des cours en français ou en anglais suivant la première langue de l’enseignant. Des étudiants qui rédigent dans leur langue de prédilection. Le Cameroun, officiellement bilingue, connaît de nombreux ratés linguistiques dans ses universités.

Nouvellement inscrit en 1re  année de Droit à l’Université de Douala, Alphonse Patrice Ovale s’étonne d’entendre un professeur dispenser le cours de Common law exclusivement en anglais. Ce dernier ne tient nullement compte des étudiants sortis des collèges et lycées francophones présents. « Je ne savais pas que je serais confronté à un système bilingue d’enseignement où certains cours sont dispensés en anglais et d’autres en français« , regrette Alphonse. Heureusement pour lui, des étudiants qui l’ont précédé ont fait traduire le cours qu’il suit donc en français. Il lui en coûtera 1 000 Fcfa (1,5 euro) l’exemplaire.


Dans les six universités du Cameroun (cinq bilingues et une de type anglo-saxon : celle de Buea), les professeurs, selon leur langue première, enseignent soit en français soit en anglais. L’étudiant est tout aussi libre de composer pendant les évaluations dans sa propre langue sans tenir compte de celle du correcteur. Les enseignants, dont la plupart ne maîtrisent parfois eux aussi qu’une seule des deux langues officielles, se retrouvent donc confrontés aux mêmes difficultés que leurs étudiants.


« Chaque fois, que je reçois la copie d’un étudiant anglophone, je suis obligé de recourir à un dictionnaire pour comprendre le sens de certains mots et parfois même le texte en entier. Cela me prend beaucoup de temps », affirme sous anonymat un professeur du département de philosophie et de psychologie de l’Université de Douala. « Plusieurs de mes collègues refusent de faire de même et attribuent tout simplement de bonnes notes aux étudiants en ne tenant compte que du nombre de feuilles de composition remplies », regrette-t-il.


 


Relever le niveau


Une Unité de valeur (UV) Formation bilingue est désormais programmée dans toutes les classes du premier cycle universitaire afin de relever le niveau des étudiants dans l’une ou l’autre langue. Cependant, aucun véritable test de niveau en langues n’est imposé à l’entrée des universités. « Si c’était le cas, les futurs étudiants se prépareraient davantage et prendraient des cours de remise à niveau dans celle qu’ils maîtrisent le moins », estime Mavis, étudiante en 3e année de communication. Anglophone, elle se souvient avoir redoublé la 1re année car neuf des onze matières inscrites au programme cette année-là étaient dispensées en français… En règle générale, les étudiants valident difficilement les UV dispensées dans une autre langue que celle qu’ils maîtrisent. « C’est au bout de trois tentatives que j’ai réussi à valider l’UV Demography dispensée en anglais », confie Bernard Libam.


Au niveau des enseignants, le bilinguisme pose encore plus de problèmes. « À ma connaissance, il n’y a jamais eu depuis la création de l’Université de Douala un séminaire ou un atelier de recyclage des enseignants dans aucune des deux langues officielles », déplore sous anonymat une enseignante de la Faculté des sciences. Le recteur de cette université espère juguler le phénomène en recrutant à l’avenir davantage d’enseignants anglophones. Pas forcément la solution d’après Félix Nicodème Bikoi, doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines : « Les enseignants, avant de solliciter un poste dans nos universités, sont conscients que ce sont des universités bilingues. Pourtant, bon nombre d’entre eux sont incapables de parler et d’écrire correctement le français et l’anglais. »


 


Bilinguisme officiel


Depuis plus de 30 ans, l’anglais et le français sont les langues officielles en vigueur au Cameroun, mais rares sont les Camerounais (à 78 % francophones et à 22 % anglophones) qui maîtrisent les deux. Dans les universités bilingues du pays, curieusement, les étudiants anglophones (30 % seulement des inscrits) parviennent pour la plupart à être parfaitement bilingues au terme de leurs études contrairement à leurs camarades. Des résultats finalement logiques, selon Carine Keou Monthé, étudiante de niveau 3 en communication : « Ils s’expriment aisément dans les deux langues grâce aux nombreuses unités de valeur reçues en français. Ce qui n’est pas le cas pour nous autres francophones qui n’avons au mieux que trois matières en anglais ».


Le bilinguisme à l’université semble avoir encore de gros progrès à faire s’il ne veut pas être définitivement recalé…


Charles Nforgang


 

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