L’homosexualité égare la presse camerounaise

(Jade Cameroun/Syfia) Au Cameroun, la publication de listes de présumés homosexuels par des journaux déchaîne les passions. Si l’absence de preuves est unanimement critiquée, l’atteinte à la vie privée dérange peu et moins encore la condamnation de l’homosexualité qui reste un délit dans ce pays.

Le quotidien camerounais La Nouvelle Expression affirme dans son édition du 13 février dernier, fac-similé à l’appui, que l’ambassade de Grande-Bretagne à Yaoundé a écrit aux autorités du Cameroun pour obtenir des renseignements sur la tenue d’un registre des couples gays britanniques. Cette information a ravivé la polémique née de la publication, fin janvier, par L’Anecdote, La Météo et Nouvelle Afrique, trois journaux privés de Yaoundé, de listes de personnalités publiques présumées homosexuelles.


Près des trois quarts des personnes citées, parfois avec photos et commentaires, font partie de la haute administration et du gouvernement. « Notre souci est de tirer la sonnette d’alarme face à l’expansion d’une gangrène, qui comme la corruption, les détournements de deniers publics, la grande criminalité ou l’impudeur, contribue à tirer la société camerounaise vers le bas et de ce fait retarde son développement« , écrivait L’Anecdote dans l’article qui accompagnait cette liste.


Le Conseil camerounais des médias et le Conseil national de la communication ont vigoureusement dénoncé ces publications contraires à la déontologie et à l’éthique professionnelle. L’article 3 du code de déontologie adopté par l’Union des journalistes du Cameroun stipule, en effet, que les droits des personnes à la vie privée et à la dignité humaine doivent être respectés : « À ce titre, les injures, la calomnie, les insinuations malveillantes sont considérées comme les pires fautes professionnelles.« 


 


« Dénoncer preuves à l’appui »


Des règles que la plupart des journaux ne semblent pas avoir intégrées. « Ce n’est pas l’évocation du sujet en lui-même qui fait problème, mais le fait pour ces confrères d’avoir nommément cité des gens qu’ils qualifient d’homosexuels sans y apporter des preuves« , déplore Paulin Hilela, rédacteur en chef du journal Les Nouvelles du pays.


Ainsi, Pius Njawé, directeur du Messager, écrit-il dans un éditorial : « Il faut dénoncer cette pratique qui défie non seulement les mœurs africaines, nos valeurs traditionnelles, mais surtout la morale chrétienne. Mais attention, dénoncer, cela suppose pour le journaliste un travail d’investigation irréprochable. Cela suppose que l’on ait pris le temps nécessaire pour suivre les adeptes de cette pratique honteuse dans leur sale besogne, que l’on les ait ‘filés’ sur une certaine période pour mieux les identifier comme tels et constituer des preuves irréfutables. »


Reporters sans frontières dénonce, de son côté, le « parfum de haine » de ces attaques personnelles dans ce pays « où les directeurs de journaux ont depuis quelques semaines fait leur fond de commerce de l’outrance, de la dénonciation et de la stigmatisation ».


Au Cameroun, l’homosexualité est un délit puni, selon le Code pénal, d’une peine de prison de 6 mois à 5 ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 Fcfa (30 à 305 Euros). Ces derniers mois, plusieurs homosexuels ont été poursuivis et emprisonnés. Dans son homélie, lors de la messe de Noël, l’archevêque de Yaoundé avait dénoncé l‘homosexualité comme « une perversion contre laquelle il nous faut lutter tous ».


 


 


« Ces homosexuels sont nos compatriotes »


Rares sont les voix qui prennent la défense de ceux qui ont, dit-on, des « pratiques honteuses« . Le quotidien Mutations l’a fait très rapidement après la sortie de ces listes et des réactions homophobes qu’elles ont suscitées : « Ces homosexuels sont nos compatriotes, nos frères ou nos sœurs. Autant il n’est pas acceptable de restreindre certaines de nos libertés (opinion, expression, etc.) autant, personne n’a le droit d’attenter à la liberté sexuelle de quiconque ». Michel Tjade Eone, enseignant en journalisme, enfonce le clou : « Pour autant que ce qu’on fait dans une chambre, avec un homme ou une femme, n’a pas une incidence directe sur le métier qu’on exerce, ni sur la vie publique, ces aspects de la vie des personnalités doivent rester dans le registre privé.« 


Plusieurs personnes citées se disent victimes de diffamation et ont fait publier des droits de réponse dans les journaux concernés et dans les autres médias. Ils soutiennent n’avoir jamais flirté avec l’homosexualité. L’ambassade de France a envoyé un droit de réponse au journal L’Anecdote pour défendre le responsable du centre culturel français de Douala cité dans la liste controversée. Trois ministres ont déjà saisi les tribunaux.


« Les personnes incriminées dans ces listes pourraient ainsi voir leur vie brisée à jamais », prévient Camille Ekomo Engolo, sociologue à l’université de Douala. Les journaux, eux, sont sereins. « Nous avons choisi de publier une liste des homosexuels comme cela pouvait être le cas avec une liste des braqueurs« , a affirmé sans sourciller, Jean Pierre Amougou Belinga, directeur de publication de L’Anecdote, au cours d’une conférence de presse donnée par le collectif des trois journaux.


« Être journaliste en Afrique est un défi, disait Reporters sans frontières dans son rapport annuel de l’an dernier. Le métier comporte des risques, y compris celui de tomber dans l’irresponsabilité.« 


 


Charles Nforgang et Marie-Agnès Leplaideur

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