Côte d’Ivoire. Une facture normalisée pour sortir de l’informel

Pour juguler la fraude fiscale, les pouvoirs publics ivoiriens ont conçu un modèle de facture unique pour les commerçants. Ces derniers, qui pour la plupart opèrent dans l’informel, n’en veulent pas et traînent des pieds.

Nous restons vigilants. Si nous n’obtenons pas gain de cause, nous reconduirons la grève. » La plupart des commerçants ivoiriens persistent et signent. Ils refusent de se soumettre aux opérations de contrôle que la Direction générale des impôts (DGI) promet de déclencher sous peu pour vérifier s’ils utilisent la « facture normalisée ». Ce modèle unique, émis par la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI), résulte de l’application d’une loi promulguée en mars 2005 par le président Laurent Gbagbo. Déjà du 2 au 6 janvier 2006, les commerçants avaient observé un mouvement de grève et exigé du gouvernement la révision des conditions de mise en œuvre de cette facture.


Selon la nouvelle loi, les négociants doivent désormais, outre mentionner le prix et la nature de la marchandise, préciser sur chaque facture le montant de la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée), leur adresse et celle du service des impôts dont il dépend, son numéro de compte contribuable. Les services fiscaux estiment que ces précisions les aideront à effectuer de meilleurs contrôles, car ils auront une idée précise du montant exact de l’impôt à payer. Ce que rejettent les opérateurs économiques qui reprochent en outre à la DGI de ne les avoir pas consultés au préalable.


Lutter contre la fraude fiscale

Violente, la polémique bloque depuis des mois l’application de la loi. Prévue pour le 1er septembre 2005, elle a déjà connu trois reports après des protestations du Collectif des commerçants. Fin 2005, un protocole d’accord entre les deux parties, avait précisé les conditions de l’entrée en vigueur de la nouvelle facture. Une vaste campagne de sensibilisation devait être menée dans tout le pays par une équipe composée de représentants de la DGI, de la CCI et du Collectif des commerçants. Ce travail a été fait, estime la DGI, et devrait déboucher, dès le 1er janvier 2006, sur la vente des nouveaux carnets de factures suivie, à partir de la fin du mois, des opérations de contrôle. Mais pour le Collectif la sensibilisation n’a été faite que dans quelques localités du Sud alors qu’elle devrait s’étendre aussi au Nord, occupé par les Forces nouvelles, ex-rebelles. « Il faut tout reprendre à zéro parce que nous n’avons encore rien compris ! », clame Doukouré Vazoumana, président de la Fédération nationale des commerçants et opérateurs économiques de Côte d’Ivoire (Fenacci). « Une loi ne doit pas s’appliquer uniquement à une moitié du pays ! » protestent des commerçants. »

Cette controverse cache en fait de gros enjeux économiques. De nombreux commerçants, opérant dans l’informel, ont pris l’habitude d’acheter et de vendre sans facture, de se faire confectionner leurs propres factures ou de les remplir en omettant le compte contribuable. Ce qui leur évite de payer la TVA et les met à l’abri des contrôles fiscaux, occasionnant du coup à l’État un manque à gagner estimé à 3 milliards de Fcfa (plus de 4,5 millions d’euros) par mois. Une perte considérable pour l’économie ivoirienne, déjà mise à mal par les répercussions négatives de la crise militaro-politique qui déchire le pays depuis septembre 2002.


« Une loi est une loi. »
Un des objectifs de la DGI est clairement de contraindre ainsi les commerçants ivoiriens à sortir de l’informel. La majorité d’entre eux crient au ‘ »harcèlement fiscal » et s’insurgent contre la mention sur la facture du compte contribuable du vendeur, car beaucoup parmi eux n’en disposeraient pas. Ils redoutent les forces de l’ordre qui racketteraient déjà ceux qui n’ont pas les nouvelles factures.

« Les arguments que le Collectif avance ne sont pas valables, critique cependant Mohamed Ould Ibrahim Lakdaf, porte-parole d’un groupe de petits commerçants et d’opérateurs économiques. « Dire qu’il faut attendre la réunification du pays avant l’application de la facture normalisée reviendrait à nous demander de fermer nos magasins et attendre que la Côte d’Ivoire soit à nouveau unifiée avant de les rouvrir. C’est impensable ! » Un point de vue partagé par la DGI pour qui l’heure n’est plus aux discussions avec les commerçants, car « une loi est une loi et doit être appliquée comme telle ».


Yacouba Sangaré

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