Lundi 6 février 2023, des journalistes envoyés sur le terrain pour couvrir l’interpellation puis la mise en détention de l’homme d’affaires, Jean Pierre Amougou Belinga et d’autres suspects dans l’assassinat de Martinez Zogo, ont été empêchés de faire leur travail.
Le climat dans lequel la presse exerce son travail se dégrade et prend des proportions inquiétantes dans un contexte déjà marqué par l’enlèvement puis l’assassinat du journaliste et chef de chaîne de la radio urbaine « Amplitude FM », Martinez Zogo. Des journalistes se sont vus confisquer leur matériel de travail lors de l’interpellation de Jean-Pierre Amougou Belinga et de certains de ses comparses. Marcellin Gansop, journaliste à Equinoxe télévision, témoigne : « Nous étions tout simplement en train de faire notre travail de reporter en allant au domicile de Jean Pierre Amougou Belinga pour vivre ce qui s’est passé aux aurores de ce lundi 6 février 2023. Notre intention était de confirmer qu’il était bel et bien interpellé et de faire vivre l’ambiance autour et dans son domicile.
Au départ, nous avons été très bien accueillis par les gendarmes qui étaient en faction. Ils nous ont d’ailleurs demandé de faire notre travail, en évitant tout simplement d’être exposés pour que leurs patrons ne nous trouvent pas sur les lieux. Nous étions là jusqu’à ce que dans l’après-midi il y ait cette perquisition qui a mal tourné lorsque la troisième épouse d’Amougou Belinga a demandé qu’on lui présente un mandat de perquisition. Elle a exigé également la présence de l’avocat de Jean Pierre Amougou Belinga, Me Charles Tchoungang. Ce qui n’a pas été du goût des hommes en tenue qui étaient là et déclenché quelques échauffourées. Evidemment nous étions là et nous faisions notre travail de journalistes en captant ces images pour faire notre compte rendu.
Il se trouve malheureusement qu’au moment où notre cameraman faisait ce travail, nous avons été repérés par quelques « antigangs » qui ont demandé à récupérer la carte mémoire dans laquelle étaient enregistrées les images captées par mon opérateur de prise de vue… Nous avons été surpris que notre carte mémoire soit confisquée. C’est à la fin de la journée, autour de 19h que l’un des responsables de la gendarmerie que nous avons approché sur le site, a ordonné à cet « antigang » qui détenait notre carte mémoire de nous la remettre. Ce qui a été fait. Mais cela nous a ralenti dans notre travail, parce qu’il a été très difficile pour nous de rattraper le journal de 20h, après exploitation de ces images ».
Cause de l’hostilité
Le facteur invoqué par Me Kadje Victor, avocat au Barreau du Cameroun, pour expliquer les causes de cette hostilité envers les journalistes, est le conflit permanent entre la recherche de l’information et la nécessité de préserver le secret lié à la conduite d’une enquête. Pour l’avocat, les journalistes font feu de tout bois pour avoir quelques informations et en même temps les enquêteurs font ce qu’ils peuvent pour les éloigner au maximum. Il précise que, si le droit à l’accès à l’information est un droit sacré, « en même temps les instruments juridiques relatifs à la conduite d’une enquête préliminaire en cas de commission d’une infraction, précisent bien que l’enquête préliminaire est secrète, et tout ce que les officiers de police judiciaire font ne devraient pas en principe être porté à la connaissance du grand public, pour éviter que les indices autres ne soient distraits et que les informations ne fuitent et conduisent à fausser le jeu ».
Toutefois, il déplore ce type d’incident au cours duquel les appareils des journalistes sont confisqués, car il est en total violation de l’article 19 du Pacte international des droits civiques et politiques, qui protège le droit de chacun de rechercher, de recevoir et de répandre des informations de toute nature. Il ajoute à cet effet que « la faute revient aux enquêteurs qui auraient pu prendre des dispositions pour boucler la zone dans laquelle les investigations se faisaient, de façon à ce que les journalistes n’y aient pas accès comme cela se voit sous d’autres cieux. Quand ils font preuve de légèreté et que les journalistes assez sagaces y arrivent (dans la zone), ils devraient simplement leur expliquer que tout ne doit pas être dévoilé à cette phase de l’enquête, au lieu de confisquer manu militari leurs appareils ».
Attaques contre les journalistes
Les risques sur le terrain associés aux reportages sur des sujets sensibles tels que l’affaire Martinez Zogo, rendent de plus en plus les journalistes vulnérables à divers formes d’attaques et de violences. C’est pourquoi, selon la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, « 1. les attaques telles que le meurtre, le kidnapping, l’intimidation et la menace contre des journalistes ou d’autres personnes exerçant leur droit à la liberté d’expression ainsi que la destruction matérielle des installations de communication, sape le journalisme indépendant, la liberté d’expression et la libre circulation des informations vers le public. 2. Les Etats sont dans l’obligation de prendre des mesures efficaces en vue de prévenir de telles attaques et, lorsqu’elles sont perpétrées, mener une enquête à cet effet, punir les auteurs et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours efficaces ».
Ne pas céder à l’intimidation
Réné Mbondjeu, président régional du Snjc (Syndicat national des journalistes du Cameroun), s’inquiète de cette hostilité à l’endroit des professionnels de l’information. « C’est très compliqué au Cameroun pour les journalistes d’exercer librement leur métier. L’acte qui a été posé par les éléments des Forces et du maintien de l’ordre est regrettable. C’est la preuve une fois de plus qu’il n’y a pas une véritable liberté d’expression au Cameroun. Si on empêche le journaliste de collecter l’information, c’est une violation de ses droits. Et puis lorsque les journalistes vont donner des fausses informations, on va encore trouver un autre moyen de les interpeller, parce qu’on dira qu’il n’était pas sur les lieux pour avoir la bonne information », s’est-il indigné. Pour contrecarrer ce climat de peur et de restriction permanente de la liberté d’expression, il invite les journalistes à ne pas céder aux intimidations. « Nous allons continuer à inviter les autorités à mettre les informations à la disposition des journalistes. C’est en cela qu’on évitera des « fake news ». J’invite aussi nos confrères journalistes à ne pas céder à ces intimidations et aller à la bonne source pour chercher l’information.
Nacer Njoya (Jade)