Au Cameroun, de nombreux usagers obtiennent le permis de conduire à coups de bakchich. Les dénonciations de la Commission nationale anti-corruption sont restées sans effet, malgré la rigueur de la loi.
Au Cameroun, de nombreux usagers obtiennent le permis de conduire à coups de bakchich. Les dénonciations de la Commission nationale anti-corruption sont restées sans effet, malgré la rigueur de la loi.
Jamais au Cameroun, un examen n’a été aussi dévoyé que celui du permis de conduire! Quand les organisateurs de cet examen en parlent, on croit rêver. Président national du syndicat des exploitants d’auto-école du Cameroun, Francis Ngah Messobo affirme, preuves à l’appui, que la corruption dans l’organisation du permis de conduire est devenu un sport national. «Voici une correspondance adressée par le président régional de notre syndicat dans le Sud-ouest au Délégué régional des transports à Buéa où il est fait mention du fait qu’il n’y a pas eu examen de permis de conduire à Fontem, Mudemba et Mamfé. Et pourtant, on s’est retrouvé après avec des procès-verbaux établis au ministère des Transports, avec des centaines de noms des personnes admises à l’examen dans ces départements», s’étonne-t-il, en brandissant les documents cités.
Les fiches d’examen en sa possession corroborent la thèse de la corruption. « Dans le sous-centre de Bafia, à la session d’examen du 12 mai 2014, on y a enregistré la présence physique de 192 candidats. Mais le procès-verbal parle de 602 admis. D’où viennent les autres 406 candidats ? Au centre de Ngoumou, 408 candidats étaient présents, 1108 ont été admis dont 700 infiltrés », analyse-t-il.
Les agents du ministère de transport indexés
Ces manœuvres ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a quelques années, Francis Ngah Messobo avait dénoncé par lettre cette fraude massive auprès de la Commission nationale anti-corruption (Conac). L’enquête de cette dernière avait confirmé les soupçons de tripatouillages dans la délivrance du permis de conduire, et attribué la responsabilité à divers acteurs dont les agents de l’administration publique.
Josué Nkokloum, Directeur d’auto-école, et membre de jury à l’examen du permis de conduire, s’en défend et accuse les fonctionnaires. «Quand on parle de corruption ici, on s’adresse beaucoup plus à ceux qui délivrent le permis de conduire qui est un diplôme d’Etat, explique-t-il. Les auto-écoles n’en délivrent pas, mais plutôt l’administration et notamment le Ministère des transports ». Faux, rétorque Ryme Oyono, chef de service régional des transports pour le Littoral à Douala. « Nous surveillons juste que les choses se passent bien », soutient-il. Pour lui, « Les fonctionnaires ne sont pas responsables de la corruption dans la délivrance des permis de conduire. En ce qui concerne la substitution des candidats, tout se passe le jour de la composition. La Conac dit que certaines personnes composent pour d’autres et viennent ensuite introduire les copies pour remplacer ceux que certains candidats physiques présents ont déposées.».
10 à 20 ans d’emprisonnement
Avocat au barreau du Cameroun, Me Natchou Tchoumi propose d’attaquer en justice les auteurs de ces actes. «Ce sont des faits graves, qualifiés de criminels par la loi. C’est l’altération dans la substance d’un acte. Un faux réprimé par l’article 144 du Code pénal, d’une peine de 10 à 20 ans d’emprisonnement. L’infraction que l’on peut aussi retenir est celle du favoritisme », rappelle-t-il. Le praticien du droit suggère au syndicat des exploitants d’auto-école du Cameroun de saisir la justice pour demander réparation. Car, conclut-il, «Il s’agit d’une violation de l’article 143 du code pénal qui dispose qu’est puni d’un emprisonnement de 1 à 5 ans tout fonctionnaire qui décide par faveur ou inimitié contre une tierce personne ».
Guy Modeste Dzudie et Charles Nforgang (JADE)
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