(Jade Cameroun/Syfia) Autrefois friands de marques occidentales, les Camerounais, en particulier les plus fortunés, préfèrent désormais porter des vêtements imaginés par des stylistes locaux. Encouragés de la sorte, certains créateurs qui exerçaient leur art en Europe retournent dans leur pays d’origine pour faire des affaires.
(Jade Cameroun/Syfia) Autrefois friands de marques occidentales, les Camerounais, en particulier les plus fortunés, préfèrent désormais porter des vêtements imaginés par des stylistes locaux. Encouragés de la sorte, certains créateurs qui exerçaient leur art en Europe retournent dans leur pays d’origine pour faire des affaires.
Au Cameroun, hommes de médias, artistes et certains citoyens ordinaires, aiment toujours « se faire voir ». Mais plus de la même manière. Exit les créations occidentales. Ils préfèrent désormais des chemises, des boubous et des costumes décorés de cauris et sur lesquels sont brodés des animaux, des cases, ou des masques qui rappellent la richesse et la beauté de l’Afrique. Les femmes ne sont pas en reste, puisque certaines de leurs robes de soirée ou de mariage épousent dorénavant les formes du poisson.
« L’Africain aime se sentir bien dans sa peau, porter des vêtements originaux et qui en plus lui ressemblent », résume John Kouoh, créateur camerounais de mode installé à Douala depuis deux ans après plusieurs années en France et un passage en Côte d’ivoire. Ces derniers temps, la nouvelle mode aidant, plusieurs créateurs suivent le même mouvement et rentrent au pays.
Dans les grandes villes du pays, des galeries bien achalandées, appartenant à des stylistes camerounais, proposent des lignes de vêtements qui portent les noms de leurs auteurs : John, Parfait Behen, Jemann, Abdel Aida, etc. Quasiment plus de place pour les marques occidentales (Yves Saint Laurent, Yves Dorsey, Maurizo), qui, pour certaines d’entre elles, avaient des représentations au Cameroun. Représentations aujourd’hui fermées. Même les copies de ces grandes marques, en provenance de Chine, qui sont vendues à des prix défiant toute concurrence dans les supermarchés (4 000 à 12 000 Fcfa, 6 à 18 Euros pour une chemise, Ndlr) ne parviennent pas à stopper l’élan des créations locales, pourtant cinq à sept fois plus chères à l’achat ! Certaines robes de soirée ou de mariages coûtent plus d’1 million de Fcfa (1 500 Euros) à la confection.
Pionniers de la mode locale
Des prix qui sont loin de faire fuir les clients. Les ateliers des maîtres tailleurs locaux reçoivent ainsi de nombreuses gens à la recherche de tenues de rêve pour des cérémonies religieuses (funérailles, mariages) ou des évènements politiques. « C’est le résultat d’un travail que nous avons entrepris au milieu des années 90, à travers des défilés de mode sur le plateau de la télévision nationale », soutient Abdel Aida, revenue s’installer au Cameroun en 1990, après avoir suivi une formation à Paris.
Ces dernières années, l’engouement est encore plus important, avec la multiplication de défilés de mode, désormais au programme de chaque gala de charité, de fête d’entreprise, ou de concert. Une salle d’un peu plus de 500 places, conçue exclusivement pour les défilés de mode, a d’ailleurs été construite en 2005, à Douala. La multiplication, depuis 2003, des chaînes privées de télévision, qui retransmettent ces événements, a également contribué au succès des créateurs locaux.
« Auparavant, quand il participait à des évènements, les artistes, les hommes politiques, ou les hommes d’affaires qui fréquentaient les prêts-à-porter, se retrouvaient tous avec les mêmes accoutrements. Pour être originaux, ils ont commencé à nous solliciter », explique Abdel Aida. Comme plusieurs de ses collègues, la créatrice soutient que les vêtements qu’elle conçoit à la commande sont taillés sur mesure au goût du client. « Les vêtements que je porte sur scène sont uniques et très appréciés, depuis que je les fais confectionner sur place », confirme, sous anonymat, une artiste. Par le passé, cette dernière précise qu’elle trouvait difficilement des vêtements qui épousent ses rondeurs dans les prêts-à-porter parisiens.
« Le paraître, c’est l’affaire des Blacks »
Les ponts ne sont cependant pas coupés avec l’Occident. Plusieurs créateurs, comme Parfait Behen, Kreyann ou Blaz Design, revenus au Cameroun à partir de 1999 après avoir exercé en France, y ont conservé leur clientèle. « Avec la dévaluation du Franc cfa (en 1994, Ndlr), produire au pays et livrer en Occident est bien plus rentable. Surtout qu’en plus de la clientèle étrangère (20 %), nous avons une forte clientèle locale (80 %) », soutient Parfait Behen.
Les clients étrangers se recrutent en grande partie parmi les africains de la diaspora. « Les Blancs ne sont pas des accros du vêtement. Le paraître, c’est l’affaire des Blacks », soutient Jemann, qui préfère pour l’instant se concentrer sur le marché local, sans exclure pour autant de possibles partenariats avec des stylistes africains installés en Occident. « La demande est si forte au niveau local et sur le marché à portée (essentiellement Guinée équatoriale et Gabon, Ndlr), que je n’ose pas encore penser à exporter, ni craindre une quelconque concurrence », affirme John.
Forts de leur succès, certains créateurs ont lancé, depuis une dizaine d’années, des écoles de mode très sollicitées. Pour y entrer, il faut toutefois débourser entre 250 000 et 500 000 Fcfa (380 à 760 Euros) par an. La rançon de la gloire ? Toujours est-il que de nombreux jeunes sortis de ces centres rivalisent aujourd’hui de créativité sur le marché avec leurs formateurs d’hier.
Charles Nforgang