Un litige foncier a amené l’autorité administrative à prendre une mesure qui, pour les juristes, font de l’Etat du Cameroun un Etat policier.
Ils n’étaient plus que 14 sur 18 encore détenus abusivement à la prison centrale de Douala, le 03 Août 2023 : des commerçants, des chefs d’entreprises, des professionnels divers, dont une femme, considérés comme les leaders de la contestation dont l’objectif était d’empêcher la démolition de leurs habitations..
Le 31 juillet 2023, une manifestation éclate au quartier Lendi, l’un des 23 Villages du Canton BASSA situé dans l’arrondissement de Douala 5eme. Les habitants s’opposent à la présence d’individus qui utilisent un engin pour des travaux de terrassement sur des parcelles leur appartenant. Ces tensions sont relayées par des médias. A la mi-journée, des éléments de la police débarquent et arrêtent près d’une vingtaine de personnes considérées comme les meneurs de cette fronde au sujet du litige foncier qui persiste dans cette zone. Conduites à la division régionale de la police judiciaire du littoral, elles ont été “entendues”. Les avocats soutiennent qu’elles ont plutôt été “identifiées”. Aux environs de 17 heures, ces personnes sont déférées à la prison centrale de Douala.
L’un des avocats des mis en cause dénonce ce qui s’apparente à une arrestation arbitraire. Me Michel Simo s’étonne d’ailleurs de la célérité avec laquelle les concernés ont été “placés en détention”, en totale contradiction avec la présomption d’innocence défendue par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 9 qui dit que “Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires (…), et par le Code pénal du Cameroun en son article 8(1) qui insiste sur ce principe en ceci que “Toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées.”
Bien plus, l’argument de la garde à vue administrative soutenu par les autorités légales (en l’occurence le gouverneur et auteur de l’autorisation de la garde à vue), n’est pas acceptée au regard de la loi. Me Fotso revient quant à lui sur l’article 2-3, de la loi 90-54 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre public. Le texte prévoit en effet que “les autorités administratives peuvent, en tout temps et selon le cas, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre public, (…) prendre des mesures de garde à vue d’une durée de quinze jours (15) renouvelables dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme”. Pour lui, cette arrestation ne correspond pas à l’objet et aux circonstances des interpellations de cette vingtaine de personnes. Les incarcérés sont, selon le document, retenus pour “grand banditisme, rébellion, refus d’exécuter les instructions d’une autorité administrative (inconnues jusqu’ici, ndlr)” alors que la loi s’attarde dans ce cas au grand banditisme uniquement.
Elle s’oppose selon les juristes à l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui indique que “(1) Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne”; que “nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi”. En son point 2, la disposition internationale rappelle de plus que “Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui”. Or les motifs qui justifient cette arrestation sont déjà dénoncés par les avocats qui s inscrivent en droite ligne de l’article 9(1) du Code pénal et qui affirme que “le suspect est toute personne contre qui il existe des renseignements ou indices susceptibles d’établir qu’elle a pu commettre une infraction ou participer à la commission de celle-ci.”
Base légale dénoncée
Lors de la démolition des propriétés, les victimes ont indiqué que les responsables de l’engin n’ont produit aucun acte leur donnant le droit d’agir. Or la loi 2004-003 du 21 avril 2021 régissant l’urbanisme au Cameroun indique clairement à l’article 125 relativement au contrôle des travaux en zones urbaines que “le maire peut prescrire la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques”.
Le ministre de l’habitat et du développement urbain réitère ces dispositions dans la lettre-circulaire 0002/LC/MINHDU du 28 juillet 2023 relative à l’application de la réglementation en matière de construction des bâtiments dans les villes et ainsi qu’au point 1 de “la lettre-circulaire N° 0002/2/LC/MINHDU du 29 novembre 2001 relative aux mesures de suivi et de contrôle des chantiers de construction des bâtiments, et particulièrement des dispositions relatives à la mise en place effective des commissions d’examen des actes administratifs d’urbanisme, et des brigades de contrôle des documents présentés par les constructeurs”. Dans la même veine, il ressort de l’enquête que l’auteur des démolitions n’a pas encore obtenu la décision de justice qui fait de lui le propriétaire des parcelles de terrain querellées.
Pour les avocats des victimes de l’affaire, l’acte est purement illégal et ne bénéficie pas de l’onction des lois nationales en matière de déguerpissement. Plus grave encore, le 28 juillet dernier, avant la fronde du 31 juillet, une autre famille est intervenue sur le terrain accompagnée de gendarmes. Elle a procédé à la destruction des habitations et autres forages sans document l’y autorisant. “Du pur vandalisme”, selon les avocats d’autant plus que l’autorité ayant autorisé cette destruction serait le ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncières (Mindcaf). Ce qui est contraire à la loi car il s agit d’une compétence ou prérogatives de l’autorité municipale, s’offusquent les conseils des personnes incarcérées.
Depuis lors, c’est la terreur dans le quartier, affirment les riverains. Certains, ayant pourtant acquis des espaces, sont en train de quitter les lieux. On apprend d’une source très proche du dossier, qu’il s’agit en fait d’un individu qui a acquis ce terrain qui avait déjà eu plusieurs propriétaires et que l’affaire est en justice à propos de l’annulation et de l’attribution des titres fonciers à plusieurs individus.
Garde à vue contestée ?
L’interpellation et l’incarcération des 18 personnes restent une préoccupation. Les conseils de certaines personnes arrêtées affirment n’avoir pas eu accès au document qui a ordonné la garde à vue administrative le premier jour lorsqu’ils sont allés à la prison centrale de Douala. C’est plus tard que le document a été présenté à un autre avocat sans qu’il ait le droit d’en faire une copie. Il faut indiquer ici que les avocats s’inquiètent des conséquences négatives que cette garde à vue peut avoir sur leurs clients car elle peut être renouvelée indéfiniment. Ce qui peut être préjudiciable à leurs clients au regard des limites de la justice au Cameroun. Pourtant le pays est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dit à son article 9(2) que “Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui”.
L’autre élément qui choque les Conseils des incarcérés est le fait que, bien qu’ayant été arrêtés dans les mêmes circonstances, certains ont été libérés sans qu’on ne sache trop comment ni pourquoi. Or, ils ont été tous pris et conduits en détention au même moment. Il s’agit d’un médecin et d’un chef d’entreprise (et deux autres individus) qui ont été libérés contrairement à l’article 6 du code de procédure pénale camerounais qui indique que “(1) La jonction de procédures est obligatoire dans les cas d’indivisibilité et facultative dans les cas de connexité”, l’indivisibilité qui est effective “en cas de pluralité d’auteurs ou de complices d’une même infraction”, d’après le Code de procédure pénale. C’est en droite ligne de l’article 9(4) du Pacte qui précise que “la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement”.
Cameroun : un Etat policier ?
Les juristes sont formels en ce qui concerne l’utilisation abusive de la notion de “garde à vue administrative” dans la nomenclature judiciaire du Cameroun. le Dr Steve Tametong et Pierre-Claver Kamgaing dans un article cosigné et intitulé “Cameroun : un Etat policier ; A propos de la garde à vue administrative”, affirment qu’ “aujourd’hui, la garde à vue administrative semble l’un de ces vestiges qui a survécu au temps”. Bien plus, font-ils savoir, “le législateur semble donner un blanc-seing à l’autorité administrative en lui laissant le soin d’apprécier souverainement l’opportunité de placer un individu en garde à vue administrative. Cela veut dire que toute personne peut être privée de liberté au nom de la préservation de l’« ordre public ». Pourtant, en dépit de sa systématisation désormais admise, l’ordre public dans le contexte camerounais demeure instrumentalisé et récité sans gêne, telle une vieille antienne, par les autorités administratives”.
Au moment où cet article est bouclé, les conseils des concernés cherchaient à réunir toute la documentation nécessaire pour faire l’état des lieux de la situation foncière des victimes, à obtenir les documents sur la situation carcérale et l’état physique des détenus et enfin à démontrer le caractère inapproprié de cette garde à vue administrative d’autant plus que le Code de procédure pénale en son article 37 soutient que “Toute personne arrêtée bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d’entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil, de rechercher les moyens pour assurer sa défense, de consulter un médecin et recevoir des soins médicaux, et de prendre les dispositions nécessaires à l’effet d’obtenir une caution ou sa mise en liberté.”
Hervé Ndombong

