Plus de 75.000 réfugiés et déplacés internes recensés
Le 20 juin dernier était la journée internationale des réfugiés. Dans la région de l’Adamaoua, les autorités administratives disent ne pas être au courant de cette manifestation. « L’ancienne équipe du HCR qui était là partageait les informations avec nous. Mais depuis que cette nouvelle équipe est arrivée, j’ai l’impression que c’est devenu un cercle très fermé. Il a fallu que j’appelle le Préfet du département du Mbéré le 21 juin dernier pour lui demander comment s’est déroulée la journée internationale des réfugiés qui a eu lieu le 21 juin. Même le Préfet n’était pas au courant. Il a dû appeler lui aussi les sous-préfets de Djohong et de Ngaoui, et, c’est là qu’il a été informé que cette journée a eu lieu à Ngaoui et s’est déroulée dans le calme », relate Kildadi Taguiéké Boukar, gouverneur de la région de l’Adamaoua.
Pourtant, le seul département du Mbéré enregistre un peu plus de 66.000 réfugiés venus de la République Centrafricaine repartis en deux catégories. Il y en a qui ont pressenti les troubles sociopolitiques dans ce pays voisin et ont décidé de quitté la RCA. Ainsi, entre 2003 et 2012 le département du Mbéré a accueilli plus de 40.000 réfugiés centrafricains qui y vivent jusqu’à aujourd’hui en communauté. « Il faut savoir que dans les zones frontalières, les gens ont des familles de part et d’autre. Donc ceux qui sont venus de 2003 à 2012 ont facilement retrouvé leurs familles d’ici et cohabite ensemble », témoigne Sa Majesté Yaya Doumba, lamido de Djohong par ailleurs député Rdpc dans le département du Mbéré.
A côté de ces réfugiés qui vivent en communauté, il y en a ceux qui sont arrivés dans le Mbéré à partir de 2013 après le départ du Président Bozizé du pouvoir. Ces derniers estimés à plus de 26.000 sont aujourd’hui accueillis dans les camps de réfugiés de Borgop et de Ngam. « Malgré la volonté du HCR à organiser des rapatriements volontaires dans leur pays, ils sont à peine 2000 réfugiés qui ont rejoint la RCA. Cela s’explique du fait qu’ils ont trouvé un meilleur encadrement ici au Cameroun avec notamment des centres de santé, des écoles, des forages avec de l’eau potable et même sur le plan alimentaire des choses qu’ils n’ont pas facilement dans leur pays », fait savoir S.M Yaya Doumba.
Insécurité
Au départ, la vie avec ces réfugiés centrafricains n’était pas aussi facile tant en communauté que dans les camps de réfugiés. Quelques éclats de voix se faisaient entendre de temps en temps liés aux cas de vols de quelques parcelles cultivables. « Il y a quelques années au moment où le phénomène du grand banditisme à mains armées battait son plein dans la région, nous avons souvent eu des affrontements en brousse avec certaines bandes armées. Au moment où on parvenait à les neutraliser, c’est là qu’on a découvert que certains avaient sur eux des cartes de réfugiés. Mais je pense qu’avec le système biométrique mis en place par le HCR, nous ne les croisons plus en brousse », affirme une source militaire. « Lorsqu’un réfugié entre ici au camp, nous prenons la peine de le fouiller ainsi que son bagage. Lorsque ces cas nous ont été signalés par les militaires camerounais, on a compris que, certainement avant d’arriver ici au camp, ces derniers cachaient leurs armes en brousse et ressortaient souvent dans la nuit pour aller opérer et revenir », explique une source du HRC.
Abandon
Si certains réfugiés sont bien encadrés par le HCR, il y en a qui sont abandonnés dans l’arrondissement de Ngan-Ha où environ 300 réfugiés vivent depuis 2014. « Je suis arrivé ici en 2014 en provenance de la RCA. Au début ce n’était pas facile de s’intégrer au sein de la communauté, car tout le monde se méfiait de nous. Avec le temps ils ont compris notre situation et ont commencé à nous céder quelques parcelles de terre pour cultiver. Jusqu’ici nous n’avons pas encore reçu de l’aide venant de l’Etat du Cameroun », nous confie sous anonymat un réfugié centrafricain. Dans cette circonscription administrative, l’autorité administrative se bat à son niveau pour le maintien de la paix et de la sécurité. « Je suis arrivé ici et j’ai trouvé ces réfugiés et déplacés internes qui étaient déjà là. En ma qualité de sous-préfet, je n’ai pas les moyens pour leur venir en aide. J’ai déjà un fait un rapport à ma hiérarchie parlant de leur présence et de leur situation ici. Toutefois, nous faisons de temps en temps des descentes dans ces villages pour nous assurer que la vie en communauté se passe bien. Je peux vous assurer que la cohabitation jusqu’ici est pacifique », précise Yves Bissa sous-préfet de l’arrondissement de Ngan-Ha.
Dans ce même registre, on note aussi l’abandon par l’Etat du Cameroun des plus de 10 000 déplacés internes qui se sont retrouvés dans la région de l’Adamaoua à cause des troubles sociopolitiques dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi que ceux venus de la région de l’Extrême-Nord à la suite de multiples attaques de Boko Haram. Pour les déplacés de la crise du Noso, on retrouve un peu plus de 7 000 déplacés internes dans le seul département du Mayo-Banyo où l’arrondissement de Bankim à lui seul en compte plus de 6 000. On retrouve le reste dans les arrondissements de Mayo-Darlé et de Banyo. Dans ce même registre, on retrouve également un bon nombre de déplacés interne du Noso dans le département du Faro et Déo.
Aussi, l’arrondissement de Mbé dans le département de la Vina compte plus de 2000 déplacés interne venus de la région de l’Extrême-Nord. Malgré les cris de détresse de ces déplacés et les rapports des autorités administratives, le gouvernement camerounais est resté muet comme une carpe face à cette situation. « Depuis cette arrivée massive des déplacés internes ici chez nous à Bankim, nous n’avons encore rien reçu de la part du gouvernement pour les soutenir. Aujourd’hui, la mairie est déjà essoufflée, car avec nos maigres ressources, nous ne pouvons pas subvenir à tous leurs besoins. Nous espérons que l’Etat ne nous a pas oublié. Nous gardons espoir qu’un jour l’Etat pensera à eux et que la paix reviendra définitivement dans ces régions », implore Engelbert Mveing, maire de la commune de Bankim.
Dispositions légales La Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, encore appelée « convention de Kampala » en son article 4-4 sur les obligations des Etats parties relatives à la protection contre le déplacement interne, qui a été ratifiée par le Cameroun est bien précise : « Toute personne a le droit d’être protégée contre le déplacement arbitraire…le déplacement individuel ou massif de civils en situation de conflit armé, sauf pour des raisons de sécurité des civils impliqués ou des impératifs d’ordre militaire conformément au droit international humanitaire », peut-on y lire. Et l’article 5-1 de cette même convention stipule que « les Etats parties assument leur devoir et leur responsabilité première d’apporter protection et assistance humanitaire aux personnes déplacées, au sein de leur territoire ou de leur juridiction, sans discrimination aucune ». Malgré ces dispositions, les réfugiés centrafricains qui vivent à Ngan-Ha ainsi que l’ensemble des déplacés internes de la région de l’Adamaoua vivent au jour le jour.
Par Francis Eboa (Jade)

